PARIS : Le ministre français de la Justice Eric Dupond-Moretti est arrivé vendredi à la Cour de justice de la République (CJR) pour y être interrogé en vue de son inculpation par les magistrats chargés d'enquêter sur de possibles conflits d'intérêts avec ses anciennes activités d'avocat, a constaté l'AFP.
Le ministre a fait son arrivée en voiture vers 09H00 locales (07H00 GMT), peu après ses avocats, et s'est dit devant les caméras "serein", et "particulièrement déterminé". "Le ministre de la Justice n'est pas au dessus des lois mais il n'est pas non plus en dessous", a-t-il aussi déclaré, affichant un grand sourire.
Son interrogatoire, qui peut durer la journée, pourrait se conclure par une inculpation, ce qui constituerait une première en France pour un garde des Sceaux en exercice.
Sa convocation lui a été remise lors d'une rarissime perquisition de 15 heures à la Chancellerie le 1er juillet.
Dans cette affaire, Eric Dupond-Moretti est soupçonné d'avoir profité de sa fonction pour régler ses comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu maille à partir quand il était avocat, ce qu'il réfute.
La CJR, seule juridiction habilitée à poursuivre et juger des membres du gouvernement pour des infractions dans le cadre de leurs fonctions, a ouvert en janvier une information judiciaire pour "prise illégale d'intérêts" après les plaintes des trois syndicats de magistrats et de l'association Anticor dénonçant des situations de conflits d'intérêts dans deux dossiers.
Le premier concerne l'enquête administrative ordonnée en septembre par le garde des Sceaux contre trois magistrats du parquet national financier (PNF) qui ont fait éplucher ses relevés téléphoniques détaillés ("fadettes") quand il était encore une star des prétoires.
Méthodes de barbouzes
Le PNF cherchait alors à débusquer une "taupe" ayant pu informer l'ancien président Nicolas Sarkozy et son conseil Thierry Herzog - un ami d'Eric Dupond-Moretti - qu'ils étaient sur écoute dans l'affaire de corruption dite "Bismuth", et qui a valu en mars une condamnation historique à l'ex-chef de l'Etat.
Vilipendant les "méthodes de barbouzes" du parquet anticorruption, Eric Dupond-Moretti avait déposé une plainte, avant de la retirer au soir de sa nomination comme garde des Sceaux, le 6 juillet 2020.
Dans le second dossier, il lui est reproché d'avoir diligenté des poursuites administratives contre un ancien juge d'instruction détaché à Monaco, Edouard Levrault, qui avait inculpé un des ses ex-clients et dont il avait critiqué les méthodes de "cow-boy".
Les syndicats de magistrats ont, par ailleurs, signalé à la commission d'instruction de la CJR trois autres interventions du garde des Sceaux qu'ils jugent problématiques, dont une à l'automne auprès de détenus corses alors qu'il avait été l'avocat de l'un d'eux, Yvan Colonna.
Mais la commission des requêtes de la CJR a rendu un avis défavorable, refusant donc d'ordonner un supplément d'information pour ces faits, selon une source judiciaire.
Eric Dupond-Moretti s'est toujours défendu de toute prise illégale d'intérêts, martelant qu'il n'a fait que "suivre les recommandations" de son administration.
Soutien de Macron
Les potentiels conflits d'intérêts du nouveau garde des Sceaux avaient finalement conduit fin octobre à l'écarter du suivi de ses anciennes affaires, désormais sous le contrôle de Matignon.
Eric Dupond-Moretti accuse ces mêmes syndicats de "manoeuvres politiques" afin "d'obtenir un nouveau garde des Sceaux".
"On ne fait pas de politique. A aucun moment, d'aucune manière nous n'avons demandé la démission du ministre", rétorque Céline Parisot, présidente de l'USM, syndicat majoritaire dans la magistrature.
Une inculpation compromettrait-elle l'avenir d'Eric Dupond-Moretti à la tête de ce ministère régalien?
"Il a le soutien d'Emmanuel Macron et (du Premier ministre) Jean Castex. Il était d'ailleurs le choix personnel du président de la République, qui ne peut se déjuger", commente une parlementaire du parti présidentiel LREM.
Une ministre juge au contraire sa situation "compliquée, surtout quand on est garde des Sceaux".
Emmanuel Macron s'est exprimé sur le sujet jeudi en marge du tour de France.
"Je pense que le garde des Sceaux a les mêmes droits que tous les justiciables, c'est-à-dire celui de la présomption d'innocence de pouvoir défendre les droits qui sont les siens", a-t-il dit, se posant en "garant de l'indépendance de la justice".