ADI ARKAY : Quand la guerre a éclaté dans la région éthiopienne du Tigré, Solomon Alabachew a pris sa kalachnikov et s'est rué avec ses camarades d'une milice de la région voisine de l'Amhara pour s'emparer des terres du Tigré occidental.
A 37 ans, Salomon assure que c'est la plus grande réussite de sa vie. Ces terres fertiles, rattachées à la région du Tigré au début des années 1990, sont revendiquées depuis des décennies par l'ethnie amhara. L'offensive lancée lundi par les rebelles tigréens pour reconquérir ces territoires, face à l'armée fédérale alliée depuis huit mois aux forces amhara, l'a rendu furieux. Alors mercredi, Salomon a dépoussiéré son arme, enfilé son treillis et a pris la direction du nord, vers la frontière d'avant-guerre entre l'Amhara et le Tigré.
Dans le village amhara d'Adi Arkay, niché dans les montagnes près de cette frontière, il attend désormais l'ordre d'avancer, avec des milliers d'autres combattants réunis dans le cadre d'une mobilisation massive décrétée par de hauts responsables de l'Amhara.
Mercredi, le porte-parole du gouvernement régional, Gizachew Muluneh, a annoncé que les forces spéciales et les milices amharas passeraient "à l'attaque" pour reprendre le terrain pris dernièrement par les rebelles tigréens.
Cette déclaration est intervenue quelques heures à peine après que le Premier ministre Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix 2019, s'est engagé à "repousser" les attaques des ennemis de l'Éthiopie. Salomon adhère à cette rhétorique belliqueuse. Il a hâte d'en découdre.
"Nous sommes ici pour prendre les mesures nécessaires, pour anéantir et faire des sacrifices. Tous les Amhara, du plus haut au plus bas, se sont mobilisés", a-t-il déclaré. "Les gens ont été très patients avec l'approche du gouvernement jusqu'à présent, mais même si les ordres (d'attaquer) ne viennent pas, nous ne reculerons pas", lance-t-il.
«Nous avons la vérité»
Abiy Ahmed a envoyé l'armée fédérale au Tigré en novembre dernier pour destituer les autorités régionales, issues du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Selon lui, cette opération répondait à des attaques contre des camps de l'armée fédérale ordonnées par le TPLF. Cette opération marquait un sanglant paroxysme aux tensions entre le jeune leader réformiste, arrivé au pouvoir en 2018, et le parti dominait le pouvoir éthiopien depuis trois décennies.
Elle constituait également une opportunité pour les Amhara de reprendre les terres de l'ouest et du sud du Tigré que le TPLF a, selon eux, illégalement annexées au début des années 1990 quand il a procédé à un redécoupage des régions. La guerre a connu un tournant inattendu fin juin avec une offensive des forces pro-TPLF qui ont repris la capitale régionale Mekele le 28, forçant Abiy à déclarer un cessez-le-feu unilatéral et à retirer la plupart des troupes fédérales de la région.
Avec l'offensive lancée cette semaine, les rebelles entendent "libérer chaque centimètre carré du Tigré", selon leur porte-parole, Getachew Reda. Ce dernier a également affirmé à l'AFP que les rebelles contrôlaient déjà Alamata, la plus grande ville du sud du Tigré, et prendraient bientôt la ville occidentale de Mai Tsebri, au nord d'Adi Arkay.
L'armée éthiopienne n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP. Dans un entretien à l'AFP, le responsable régional des milices amhara, le colonel Bamlaku Abay, reconnaît certaines pertes de terrain, mais juge les affirmations de Getachew exagérées. "Ils ont pris certains endroits autour de Korem (ville du sud du Tigré, ndlr) et autour de Mai Tsebri, lorsque les militaires se sont retirés", déclare-t-il depuis sa base actuelle à Adi Arkay.
Il se dit "très sûr" que les milices amhara repousseront les rebelles une fois qu'elles seront déployées. "Le TPLF essaie de terroriser notre peuple et notre terre. Jusqu'à présent, nous n'avons pas répondu", affirme-t-il: "Nous l'emporterons. Nous avons la vérité de notre côté. Ils n'ont pas la vérité avec eux".
«Menace existentielle»
Dans la rue qui borde le bureau du colonel Bamlaku, les combattants de la milice Amhara sirotent un café, cirent leurs bottes. D'autres se promènent dans le village. Des centaines de leurs camarades, arme à l'épaule et effets personnels fourrés dans des sacs à l'effigie de Spiderman ou Bob Marley, ont quitté la ville en direction du sud, empruntant la route principale.
Le colonel Bamlaku affirme qu'il ne s'agit pas de mouvements de troupes, simplement d'une rotation. Une base militaire fédérale se trouve à l'entrée sud d'Adi Arkay. Les miliciens interrogés par l'AFP s'attendent à mener la charge à la fois vers l'ouest et le sud du Tigré.
Selon Fenta Tereffe, porte-parole de l'administration de la zone Nord-Gondar, qui comprend Adi Arkay, l'objectif est d'arrêter les rebelles à Mai Tsebri. Sinon, affirme-t-il, ces derniers pousseront vers le sud jusqu'à la capitale éthiopienne Addis Abeba, tuant les Amhara sur leur chemin. Il refuse de dire combien de milliers de miliciens ont été mobilisés cette semaine, mais "nous en avons plus qu'assez pour notre objectif", affirme-t-il.
"Assez de combattants, mais aussi de ressources", ajoute-t-il, en expliquant que certains fonctionnaires ont renoncé à leurs salaires ce mois-ci pour aider à financer les opérations et que des femmes préparent des sacs de pain, d'injera (grandes crêpes typiques de la cuisine éthiopienne) séchée et d'orge grillé que des jeunes acheminent ensuite au front. "Le peuple amhara ne veut pas la guerre, il est conscient qu'il n'y a aucun profit à tirer de la guerre. Mais nous faisons face maintenant à une menace existentielle", déclare Fenta.
par Robbie Corey-Boulet