LA COURNEUVE, France : Anxiété, troubles dépressifs, idées suicidaires: la crise sanitaire a dégradé la santé psychique des étudiants et son "ampleur négligée", alertent les professionnels de santé. A la Courneuve, en Seine-Saint-Denis, une consultation a été lancée pour prendre en charge ces jeunes en "détresse" et préparer leur rentrée.
Neuf mois, seule sans autre "ami" que son écran d'ordinateur. Leila (prénom d'emprunt), en première année de master à l'Université Paris 8 Saint-Denis, a perdu pied et a fini par sombrer.
L'étudiante marocaine débarque en France en septembre en pleine pandémie. "Tout a été difficile: s'inscrire à la fac, suivre les cours à distance, les travaux en groupe", énumère la jeune femme qui étudie les sciences politiques.
"A rester devant l'écran, votre énergie est consumée et cela ne m'a pas permis de me faire des amis. Je me sentais isolée", confie l'étudiante.
Un jour, elle doit réaliser un exposé. "J'ai eu ma première crise d'angoisse". Elle ne parvient pas à réaliser l'exercice. "J'étais bouleversée".
Au fil des mois sa "solitude" évolue en "idée suicidaire".
Sa bouée de sauvetage arrive en mars. Lors d'une distribution alimentaire, elle entend parler d'une consultation gratuite ouverte aux étudiants sans avoir à passer par un médecin généraliste, contrairement au "chèque psy" lancé cet hiver par le gouvernement (trois séances gratuites chez un professionnel).
"Le fait de parler, d'être écoutée m'a vraiment aidé", estime Leila qui est passée d'une consultation par semaine à une séance par mois.
Le psychiatre lui a prescrit des antidépresseurs "contre les idées noires". "Aujourd'hui je me sens tranquille. Même heureuse par moments".
La jeune femme a décidé de "lâcher les cours" pour "garder son énergie" comme le lui a conseillé sa psy.
Et depuis le déconfinement de mai, elle a pu se lier d'amitié avec de nouvelles personnes et sortir: "au moins ce sentiment étrange d'enfermement a disparu", note Leila qui aborde la rentrée "un peu plus sereinement".
- Mal-être -
"L'état d'esprit morose" de Céline (prénom d'emprunt), c'est sa maman qui l'a constaté. En première année de licence à la Sorbonne, elle "mangeait beaucoup moins".
"J'avais maigri, ma mère a senti qu'il y avait un problème. Elle ne savait pas trop quoi faire, m'a dit que ce serait peut-être bien de parler à quelqu'un", raconte la jeune femme qui vit à Drancy (Seine-Saint-Denis) avec ses parents.
Le manque de lien social, son cursus et la crise sanitaire ont accéléré son mal-être.
La consultation psy "m'a permis d'évoquer à haute voix mon état sans avoir à être jugée. Cela m'a permis aussi de voir les choses différemment et un peu plus positivement", analyse l'étudiante. "Je me sens un peu mieux accompagnée dans mes émotions".
La jeune femme se donne du temps pour réfléchir à une nouvelle orientation. En attendant, elle va profiter de l'été pour relâcher la pression.
"La détresse psychologique des étudiants" n'a pas été mesurée lors du premier confinement, reconnaît Thibaut Ernouf, psychiatre qui a lancé la consultation à la Courneuve en partenariat avec la Fondation Santé des étudiants de France.
Cette aide psychologique est destinée principalement aux habitants de Seine-Saint-Denis, où "il y a moins de sensibilisation à la santé mentale, presque tabou".
En mars 2020, "on a d'abord été inquiets pour les patients psychiatriques", explique le spécialiste.
Pour autant, "la santé mentale est la cause numéro 1 de morbidité sur la tranche d'âge des étudiants", détaille le Dr Ernouf. "Cette population ne se préoccupe pas trop de sa santé, certains ont le sentiment d'être immortel".
Depuis le lancement de la consultation, mi-mars, 27 étudiants ont franchi la porte du relais psy.
Ils présentent "essentiellement des troubles dépressifs. Il y a eu des idées suicidaires mais pas de passage à l'acte", indique le médecin.
Les études réalisées juste après le deuxième confinement montrent des troubles équivalents chez les étudiants en Chine, en Italie ou encore aux Etats-Unis, explique le psychiatre.
Le déclenchement pour aller consulter, "c'est le décrochage scolaire" qui s'ajoute aux difficultés psychiques. "A force d'être déprimés, les étudiants n'arrivent plus à se concentrer donc ils finissent par ne plus assister aux cours", souligne Manon Beuzen, psychologue au relais.
Selon la spécialiste, un facteur aggravant est "la précarité socio-économique: des gens qui n'ont pas eu d'extérieur, confinés dans des petits appartements".
Avec le déconfinement, une grande majorité des étudiants "va s'en remettre", relativise le Dr. Ernouf.
Néanmoins, "il ne faut pas louper les 5%" qui ne parviendront pas à retrouver une vie normale, prévient le médecin.
"Les troubles mentaux ne sont pas dans la même temporalité que la réanimation. Il faut les repérer et une fois installés, c'est plus long à traiter avec des séquelles qui durent des années.