DUBAÏ: Paris est célèbre pour ses prolifiques musées de renom, qui attirent des foules du monde entier. Mais la ville abrite également des joyaux culturels plus petits et discrets qui méritent également l'attention. L’Institut Giacometti en fait partie. C’est le lieu de référence pour l’œuvre d’Alberto Giacometti, consacré aux expositions, à la recherche, à la pédagogie et à la présentation de l'œuvre de l'éminent sculpteur suisse du XXe siècle. Pendant quarante ans, il a vécu et travaillé dans ce bâtiment historique dans le quartier de Montparnasse, aujourd’hui reconverti en musée pour ses œuvres.
Bien qu'il soit mort en 1966, Giacometti continue de vivre à travers la vitrine unique du musée, de son atelier encombré, de ses meubles intimes et d'œuvres d'art rarement vues.
La nouvelle exposition estivale de l'Institut, qui se tient jusqu'au 10 octobre, invite à prolonger et à approfondir cette relation du sculpteur à l’art égyptien. Giacometti et l'Égypte antique est l’union de l’antiquité et de la modernité, où l'Orient rencontre l'Occident. Les minces statues allongées, caractéristiques de Giacometti, se confrontent ou se tiennent à côté d’objets de l'Ancien, du Moyen et du Nouveau royaume de l'Égypte ancienne. Le Louvre a exceptionnellement prêté 16 œuvres à l’occasion de cette exposition.
Cette exposition offre un nouveau regard sur l’art de Giacometti à travers le prisme de l’Égypte antique, une source d’inspiration inexplorée pour l’art moderne.
Giacometti n'a jamais mis les pieds sur le sol égyptien, mais cela ne l'a pas empêché d'admirer de loin son patrimoine artistique.
«Giacometti était un homme très cultivé», souligne le co-commissaire de l'exposition, Romain Perrin, à Arab News. «Je pense que la passion qu'il avait pour l'Égypte a commencé grâce à la bibliothèque de son père. Lorsque Giacometti était un jeune garçon au collège de Schiers en Suisse, il a tenu une conférence sur la question: «Quel est l'art le plus important de l'humanité?» Sa réponse fut: «L'Égypte.»
En plus de dévorer des livres publiés en Europe sur l'art égyptien, les visites de musées en Italie et en France à partir des années 1920 ont conduit Giacometti à dessiner des croquis subtils de représentations de formidables pharaons égyptiens, tels que Rahotep et Aménophis, dont les règnes remontent à des milliers d'années. Giacometti a été touché par la façon dont la vie semblait encore les habiter, à travers leur présence calme et confiante.
«Les sculptures égyptiennes sont formidables, leurs traits et leurs formes sont si bien proportionnés, leur technique est irréprochable, personne ne les a jamais égalées», a-t-il écrit un jour dans une lettre à ses parents. La passion de Giacometti pour l'art égyptien a peut-être été alimentée par la fin de l'«égyptomanie» européenne, déclenchée par la campagne d'Égypte de Napoléon à la fin du XVIIIe siècle.
Son influence était si forte que Paris mettait en scène des opéras qui se déroulaient dans l'Égypte ancienne, certains lieux ont pris des noms liés à l'Égypte tels que Le cinéma Louxor, ou le passage du Caire ainsi qu’un célèbre bordel appelé «Le Sphinx». Des obélisques et des pyramides ont également été installés – et se dressent toujours – dans les rues de la capitale française.
Comme le montre l'exposition, Giacometti a été particulièrement influencé par les formes immobiles et droites des statuettes égyptiennes, les postures et les poses hiératiques (bras le long du corps et pieds joints). Qu'elles représentent un scribe assis ou un chat debout, elles incarnent l'équilibre et le caractère. À travers d’expressives figures en plâtre, dont Femme qui marche I (1932-3) et Buste d'un homme assis (1965), Giacometti a appliqué ces principes esthétiques de l'art égyptien antique à son propre travail.
«Ce que nous essayons de montrer dans cette exposition, c'est que Giacometti n'a pas copié un livre – il avait une autre perception et a sélectionné des images spécifiques», explique Romain Perrin. L'une des œuvres les plus fascinantes exposées est un portrait funéraire du Fayoum de l'époque romaine d'une femme au regard direct mais doux. Giacometti a réalisé un croquis de ces portraits, louant et adoptant la manière dont les artistes égyptiens ont efficacement représenté le regard fixe, donnant vie au modèle. Le regard perçant est devenu emblématique des sculptures de Giacometti, reflétant la fragilité et la complexité émotionnelles.
«Il y a un aspect de la vie dans le portrait», remarque M. Perrin. «C'est paradoxal car l'art égyptien antique était considéré par les théoriciens occidentaux à cette époque comme quelque chose d'archaïque. Mais Giacometti a utilisé cet archaïsme pour montrer qu'il était plus réaliste que tout autre art.» Selon lui, Giacometti aurait pu se considérer dans cette forme d'art comme un alter ego du scribe intellectuel. Romain Perrin a également révélé qu'une photographie privée retrouvée dans les archives montre Giacometti posant de manière ludique d'une manière qui rappelle la stature des anciens Égyptiens.
L'exposition a surpris de nombreux visiteurs, qui ignoraient le lien indéniable entre Giacometti et le monde de l'Égypte antique.
«Le plus beau commentaire que j'ai entendu au cours des deux premiers jours de l'exposition, se souvient M. Perrin, était celui d'un couple qui ayant vu Walking Woman, pensait que c'était égyptien. Mais c'est Giacometti.»