PARIS : Mise en cause après l'abstention record au premier tour des régionales, la majorité récuse toute responsabilité politique et lance des pistes pour faire évoluer les procédures électorales, au risque de raviver la querelle entre anciens et modernes.
A qui la faute, si plus de deux électeurs sur trois ne se sont pas déplacés aux urnes dimanche? "Vous êtes responsables de vos tambouilles politiciennes" (Damien Abad, député LR), Emmanuel Macron a "fragmenté la démocratie" (Gérard Larcher, président LR du Sénat): la droite redouble d'attaques contre l'exécutif après la déroute démocratique.
Mercredi, Emmanuel Macron qui jusqu'ici n'avait dit mot sur cette déroute démocratique, a ouvert le Conseil des ministres "en indiquant que cette abstention record constitue une alerte démocratique à laquelle il faut répondre", selon le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal.
Le Premier ministre Jean Castex a également été accusé pour sa réaction tardive. "Dire que c'est la faute du gouvernement, c'est beaucoup trop facile", a-t-il répliqué mardi devant les députés, rappelant chacun à "l'humilité".
Dans l'immédiat, le gouvernement va lancer une campagne de communication "éclair sur les réseaux sociaux" pour inciter à voter au deuxième tour. Gabriel Attal a lancé plus spécifiquement un appel solennel aux jeunes "à s'investir dans l'arène politique électorale" après leur "abstention abyssale" au premier tour.
Au-delà, c'est aux réponses sur les modalités du vote auxquelles veut s'attaquer la majorité, de plus en plus gagnée par la volonté de "moderniser" les procédures électorales, à dix mois de la présidentielle.
"Je suis favorable au vote électronique" par internet, a indiqué Gabriel Attal, accusant les oppositions de "bloquer" les propositions. "On ne peut pas se payer le luxe de fermer des pistes", abonde le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes Clément Beaune.
L'idée fait d'autant plus son chemin qu'elle est déjà mise en œuvre pour les élections consulaires. Le modèle de l'Estonie, pays le plus avancé dans le vote électronique au monde, est également observé.
Deuxième piste évoquée, le vote par correspondance, ardemment défendu par le MoDem, ainsi que le député des Français établis en Amérique du Nord, Roland Lescure (LREM), qui rappelle qu'"un électeur sur deux a utilisé cette procédure lors de la dernière élection présidentielle américaine".
"Nous devons, une fois le scrutin terminé, tirer les conséquences de cette abstention", a exhorté Jean Castex au Palais Bourbon. Richard Ferrand a, lui, promis de "proposer des initiatives dès la semaine prochaine".
Résistances et conservatismes
Mais les résistances sont multiples: visés, le ministère de l'Intérieur qui fait "preuve d'un certain conservatisme", note une ministre, alors que Beauvau rappelle que le vote postal fut supprimé en 1975 en France tant il donnait lieu à des fraudes.
"Lorsque Jean-Noël Barrot, du MoDem, a présenté un livre blanc en reprenant toutes ces pistes en début d'année, (le ministre de l'Intérieur) Gérald Darmanin l'a renvoyé dans ses cordes", note un ténor de la majorité.
Quant au vote par Internet, il accumule les craintes: piratage informatique, tentative de déstabilisation étrangère, vote sous emprise...
"Quand on parle de vote électronique, il faut être extrêmement prudent. Cela touche à la sécurité du scrutin. Attention à des propositions trop rapides", relève le député Pacôme Rupin, co-rapporteur d'un groupe de travail à l'Assemblée sur les modalités d’organisation de la vie démocratique.
Celui-ci fera ses recommandations à la rentrée. "On vante le système américain, il n'est pas si formidable quand la moitié de l'électorat pense que l'élection a été volée et quand vous regardez le niveau d'abstention lors de l'élection présidentielle" (66,2% en 2020), complète le député.
Les réserves sont aussi politiques: nombreux sont les défenseurs du rituel républicain dominical, y compris dans la majorité.
Du reste, si les "modernes" parvenaient à imposer ces évolutions, elles pourraient difficilement être mises en œuvre dès 2022. "Peut-être pour le scrutin des Européennes de 2024", se risque le patron de La République en marche, Stanislas Guerini.
D'ici là, des ajustements, moins spectaculaires, sont proposés: "simplifier les procurations, faciliter les inscriptions et l'envoi de la propagande, amplifier les campagnes de sensibilisation...", énumère un député LREM.
Moue d'un proche du chef de l'Etat: "Ça ne change pas grand-chose: ça n'est pas parce que c'est compliqué d'aller voter que les gens n'y vont pas".