PARIS: Le groupe d'édition Madrigall, maison-mère de Gallimard, a annoncé mercredi qu'il mettait la main sur les prestigieuses Editions de Minuit, indépendantes depuis leur fondation sous l'Occupation.
C'est un coup de maître pour Antoine Gallimard, le patron du troisième groupe d'édition français : avoir convaincu l'éditeur de Marguerite Duras ou du prix Nobel de littérature Samuel Beckett de le rejoindre.
« Irène Lindon, présidente des Editions de Minuit, et Antoine Gallimard, président de Madrigall, ont conclu un accord scellant l'adossement des Editions de Minuit à Madrigall le 1er janvier 2022 », ont annoncé mercredi les deux sociétés dans un communiqué commun.
Les termes financiers de l'accord n'ont pas été divulgués.
L'opération met fin à l'indépendance de Minuit, fondée dans la clandestinité en 1941 et contrôlée par la famille Lindon depuis 1948.
« Je pense à l'avenir »
Minuit avait commencé en publiant « Le Silence de la mer » du résistant Vercors. Jérôme Lindon en avait pris la tête alors que cette petite structure se débattait avec les problèmes financiers.
Il a ensuite été l'un des plus grands éditeurs de l'histoire de la littérature française : le premier de Samuel Beckett (« Molloy », 1958), Irlandais qui recevra le prix Nobel de littérature en 1961, celui du Nouveau Roman (« Les Gommes » d'Alain Robbe-Grillet en 1953), celui de Claude Simon, prix Nobel 1985, ou encore de Marguerite Duras, l'un des plus grands succès du prix Goncourt (« L'Amant », 1984).
« J'estime vos efforts et votre goût. Je vous envie parfois d'être libre et de savoir l'être », écrivait en 1959 Gaston Gallimard, le grand-père d'Antoine Gallimard, à Jérôme Lindon, comme l'ont rappelé les deux maisons d'éditions dans leur communiqué.
« L'âge venant, il fallait que je pense à l'avenir de la maison, de ses collaborateurs et de ses auteurs (...) C'est donc naturellement que je me suis tournée vers Antoine Gallimard dont le catalogue et les librairies sont un modèle de la profession et qui assure depuis plusieurs années par l'intermédiaire du CDE-Sodis notre diffusion-distribution auprès des libraires », a expliqué Irène Lindon, 72 ans.
Le rachat se traduit par l'arrivée de Thomas Simonnet, directeur de collection chez Gallimard, comme directeur éditorial de Minuit.
Son « talent me paraît convenir à la fois aux auteurs du catalogue mais certainement aussi à des auteurs encore inconnus qui pourraient rejoindre la maison, lui donnant un nouveau souffle », a estimé Mme Lindon.
Remarquable négociateur
Antoine Gallimard, comme il est de coutume dans la profession, a promis de maintenir l'indépendance éditoriale de sa nouvelle filiale. « Nous nous attacherons à faire vivre le catalogue de Minuit avec une continuité d'intention. Nous veillerons à ce que son lien privilégié avec la librairie soit entretenu », a-t-il affirmé.
Remarquable négociateur, toujours à l'affût, il a su attirer dans son giron Flammarion, qu'il avait rachetée en 2012 à l'italien RCS Mediagroup. Il avait aussi pris le contrôle de POL en 2003.
Madrigall détient entre autres des maisons comme Denoël, Mercure de France, J'ai lu, La Table ronde, et dans la bande dessinée Casterman et Futuropolis.
M. Gallimard a salué chez Minuit « des auteurs et un catalogue littéraire d'une qualité exceptionnelle, une créativité toujours à l'œuvre, une maison vivante et indépendante qui a su conserver le meilleur de l'édition artisanale tout en s'ouvrant au renouveau de la librairie et du lectorat ».
Aujourd'hui, ses auteurs phares s'appellent Laurent Mauvignier, Tanguy Viel, Jean Echenoz, Eric Chevillard ou Jean-Philippe Toussaint. Une vedette des lettres françaises, Marie Ndiaye, découverte par Minuit, est chez Madrigall depuis 2005.