PARIS: C’est une carte politique en lambeaux qui émerge des urnes au lendemain du premier tour des élections régionales françaises.
Ce lundi, le plus grand parti de France, la plus grande force politique, ce sont sans conteste les abstentionnistes.
Les électeurs ont boudé en masse les centres de vote, l’abstention qui s’annonçait élevée dans les sondages a atteint un niveau record de 66,7 % selon le ministère français de l’Intérieur.
Le discrédit n’épargne aucune des composantes de la classe politique, que les électeurs ont toutes renvoyé dos à dos.
Inutile d’invoquer la crise sanitaire ou le déconfinement pour justifier cette claque électorale généralisée.
Par pudeur peut-être, aucun parti ne s’y est d’ailleurs aventuré, pour atténuer la gravité du message adressé par les électeurs.
Un rejet clair du processus démocratique
Tous les acteurs politiques sont désormais conscients qu’une grande colère se dresse désormais entre eux et les Français.
Cette colère, exprimée un temps à travers la crise des Gilets jaunes, progresse depuis des décennies sur fond de chômage, de paupérisation, de dégradation des services publics en plus d’une insécurité croissante.
Difficile de ne pas repenser avec inquiétude à la tribune des généraux appelant à un putsch afin de remettre de l’ordre dans le pays.
Pire encore, en regardant les résultats du scrutin du premier tour, on ne peut que constater que les Français, par leur abstention, ont manifesté un rejet clair du processus démocratique.
L’avertissement est lourd de conséquences pour une démocratie où le changement et l’alternance s’opèrent via les élections.
Difficile de ne pas repenser avec inquiétude à la tribune des généraux appelant à un putsch afin de remettre de l’ordre dans le pays.
Cette tribune, fermement condamnée par les autorités publiques et ses auteurs sanctionnés, avait obtenu le soutien d’une majorité des Français.
Scénario catastrophe certes, mais éventualité à envisager avec beaucoup de sérieux en voyant cette France qui se réveille aujourd’hui en panne.
À travers le scrutin, les Français ont affirmé haut et fort qu’ils réclament des projets, des idées et des personnalités politiques capables de porter et de mener à bien leurs aspirations.
Une majorité de Français avait capitalisé en 2017 sur le parti présidentiel baptisé «La République En Marche» pour sortir du carcan de l’alternance entre les deux forces traditionnelles, la droite et la gauche, et accéder au changement.
Or, aucune des forces politiques en place n’incarne plus cela à leurs yeux, et c’est un message bien complexe et brouillé qui leur est adressé par les électeurs.
Une majorité de Français avait capitalisé en 2017 sur le parti présidentiel baptisé «La République En Marche» (LREM) pour sortir du carcan de l’alternance entre les deux forces traditionnelles, la droite et la gauche, et accéder au changement.
Mais ce parti, malgré la gestion dynamique du président, Emmanuel Macron, de la crise sanitaire et la crise économique qui en découle, est en perte de vitesse.
Les candidats de la LREM aux régionales ont stagné autour de 10 % des suffrages, ce qui leurs permet tout juste de rester en lice pour le second tour.
La débâcle était prévisible, mais elle est amère pour ce parti qui revendiquait le renouveau et la réconciliation des Français avec la politique.
Pour enfoncer le clou, les forces traditionnelles de droite et de gauche n’ont pas subi une grande érosion malgré leurs innombrables querelles internes.
Les listes de droite se maintiennent presque au même niveau que les élections de 2015, avec 29 % des suffrages.
La gauche, elle, totalise 15,6 % des voix et reste proche du score atteint lors des élections précédentes.
On craignait une montée en puissance spectaculaire de l’extrême droite qui lui permettrait de s’imposer dans les régions, il n’en est rien.
Cela signifie que les «vieux» partis sont quand même parvenus à fidéliser un noyau dur électoral et maintenir leur ancrage régional.
Surprise du scrutin, le Rassemblement national (RN), parti d’extrême droite dirigé par Marine Le Pen, régresse nettement avec 18 % des suffrages, donc 10 points de moins que son score de 2015.
On craignait une montée en puissance spectaculaire de l’extrême droite qui lui permettrait de s’imposer dans les régions, il n’en est rien.
Ce résultat est d’autant plus paradoxal qu’en temps normal un fort taux d’abstention profite aux extrêmes et tout particulièrement à l’extrême droite.
À l’instar des autres partis, le RN n’est en effet pas épargné par l’abstention.
Il semblerait que le vote pour le RN a perdu de sa force contestataire dans le sillage de la banalisation opérée par Marine Le Pen, malgré son instrumentalisation à outrance du thème de l’insécurité.
C’est une faille immense qui sépare désormais les politiciens de leurs électeurs et qui embarrasse toute la classe politique.
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a tenté de la minimiser en évoquant uniquement «une évolution particulièrement préoccupante». En réalité, il s’agit d’une véritable désobéissance démocratique.
Il en va de même pour la droite qui s’est félicitée d’être arrivée en tête, en nombre de suffrages.
Même chose pour la gauche, qui s’est réjouie de s’être maintenue dans les régions qu’elle dirige.
Enfin, grande jubilation dans la majorité de la classe politique concernant la régression de Marine Le Pen, qui ne profite à aucune famille politique en particulier.
À un an de la prochaine élection présidentielle, les cartes sont plus que jamais brouillées.
Le duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2022 ne semble plus inévitable.
Mais en faveur de qui?