EREVAN : Porté au pouvoir par une révolution pacifique, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian joue sa survie politique après une cuisante défaite militaire fin 2020 contre l'ennemi juré, l'Azerbaïdjan.
Le réformateur et ancien journaliste de 46 ans, qui dirige depuis trois ans ce pays pauvre et montagneux du Caucase, fait face à un test clé lors des législatives de dimanche.
Il a dû convoquer ce scrutin anticipé sous la pression de l'opposition qui réclamait le jugement par les urnes de celui qui était aux commandes lors de la guerre de l'automne dernier contre l'Azerbaïdjan voisin pour le Nagorny Karabakh.
Après six semaines de combats ayant fait plus de 6500 morts, dont au moins 3700 côté arménien, Erevan a dû céder d'importants territoires sous son contrôle depuis une première guerre dans les années 1990 autour du Karabakh, une région sécessionniste d'Azerbaïdjan majoritairement peuplée d'Arméniens.
Les conditions de ce cessez-le-feu ont été perçues comme une humiliation nationale en Arménie, l'opposition et une partie de l'état-major ayant appelé au départ de M. Pachinian.
Après avoir résisté, en prenant personnellement la tête de manifestations pour dénoncer une "tentative de coup d'Etat", le dirigeant arménien s'est finalement résolu au printemps à des législatives anticipées.
Cet homme à la barbe poivre et sel a juré à ses partisans qu'ils remporteraient le scrutin et vise un score de 60%.
Mais le seul sondage disponible vendredi n'a crédité son parti que d'environ 25% des intentions de vote, derrière celui de son principal rival, l'ex-président Robert Kotcharian (29%).
« Douleur indicible »
A ceux qui critiquent sa gestion de la guerre avec l'Azerbaïdjan, M. Pachinian fait valoir que son épouse et son fils ont tous deux servi au front.
Il souligne aussi que le commandement de l'armée lui a demandé d'accepter la fin des hostilités, négociée par Vladimir Poutine, sous peine de perdre tout le contrôle du Nagorny Karabakh qui a finalement survécu amoindri.
Ce cessez-le-feu, synonyme de défaite, M. Pachinian le décrit comme "une douleur indicible pour moi et pour notre peuple".
Depuis cet échec, il s'efforce toujours de soigner son image de plébéien, qualifiant ses opposants de sbires revanchards et corrompus issus du système que la révolution pacifique de 2018 avait justement renversé.
Appelant ses partisans à lui donner "un mandat d'acier", M. Pachinian est allé jusqu'à menacer ses adversaires. "Je préviens tous ceux qui exercent des pressions sur les gens: après les élections, on viendra vous chercher", a-t-il lancé.
Il cultive un contact direct avec ses administrés dans la rue, mais aussi via les réseaux sociaux, multipliant en particulier les directs sur Facebook en temps de crise.
Héros ou traître ?
En 2018, son parti avait triomphé avec plus de 70% des voix aux législatives, porté par la fougue révolutionnaire de Nikol Pachinian dénonçant la corruption et l'autoritarisme du pouvoir en place.
Avant cela, le futur Premier ministre avait parcouru à pied des centaines de kilomètres à travers le pays, dormant à la belle étoile, grimpant sur les toits des garages et des bancs pour mobiliser.
Son aura était d'autant plus forte que son rôle dans de précédentes manifestations anti-gouvernementales, violemment réprimées en 2008, l'avait conduit en prison pendant près de deux ans (2009-2011).
S'il conserve une popularité certaine, sa cote record s'est effondrée après la guerre.
"Traître! Capitulard!". De tels cris l'ont récemment suivi lorsqu'il allait, encadré d'un lourd dispositif de sécurité, à la rencontre d'habitants d'Erevan. Beaucoup ont refusé de lui serrer la main.
Ses détracteurs dénoncent des "mensonges" de Nikol Pachinian, l'Arménie ayant perdu la guerre alors qu'il promettait, jusqu'au bout, de "briser la colonne vertébrale de l'ennemi".
Malgré une violente récession liée au Covid-19 et à la guerre, de nombreux compatriotes le remercient toujours pour ses réformes économiques et sa croisade contre les vieilles élites corrompues, dont ils craignent une revanche.