NYINGTRI: Avec l'aide de l'Etat, elle a transformé son humble demeure en gîte rural. Sur le toit du monde, Baima, une Tibétaine de 27 ans, s'est lancée dans l'hôtellerie, encouragée par Pékin... et des millions de touristes chinois.
Dans son village coincé à 3 000 m entre des sommets couverts de nuages, Baima reçoit autour d'un poêle à bois dans sa maison refaite à neuf aux vives couleurs, qui recouvrent les murs comme le mobilier.
A environ 500 km à l'est de Lhassa, la capitale du Tibet, son village de Tashigang s'est converti au tourisme il y a une dizaine d'années. Baima comme ses voisines sont désormais hôtelières.
"Nous vivions d'élevage et de cultures. Et puis l'Etat nous a encouragés à ouvrir un gîte", explique-t-elle à l'AFP, sous le regard de responsables chinois qui accompagnent des journalistes pour une rare visite encadrée au Tibet, région hautement sensible pour le régime communiste.
"Tenir un gîte, c'est moins dur que de garder les troupeaux", admet-elle.
Aidés financièrement pour transformer leur maison, les habitants du village, tibétophones, ont aussi reçu des cours de mandarin pour pouvoir communiquer avec leurs visiteurs venus du reste du pays.
"A présent, 80% des villageois peuvent s'exprimer en mandarin", se félicite Chen Tiantian, une responsable locale du Parti communiste, ajoutant que les autorités ont également offert des cours de cuisine pour mieux accueillir les touristes.
Tous ces programmes de formation sont facultatifs, assure-t-elle.
«Marchandisation» culturelle
Mais l'arrivée de ces voyageurs venus de loin modifie également le mode de vie traditionnel, redoutent des experts, qui y voient un moyen pour Pékin d'atténuer la résistance de la culture tibétaine.
Robert Barnett, de l'Ecole d'études orientales et africaines (SOAS) à Londres, se dit ainsi "très inquiet de la dégradation culturelle apportée par ce tourisme de masse hyper-organisé", même s'il reconnaît que la population locale en profite financièrement.
Selon les chiffres officiels, la région autonome reçoit pas moins de 35 millions de touristes par an -- chinois en très grande majorité -- soit dix fois sa population.
Les visiteurs sont attirés par les paysages à couper le souffle et un dépaysement garanti par rapport au reste de la Chine.
Certains n'hésitent pas à s'accoutrer de la tenue traditionnelle tibétaine pour se faire prendre en photo devant les plus célèbres sites de Lhassa, comme le Potala, le palais du dalaï lama, le chef spirituel exilé depuis 1959.
"Avec l'arrivée des visiteurs lointains, nous sommes exposés à des choses nouvelles", commente une voisine de Baima, Cangjie, qui a elle aussi ouvert des chambres d'hôte, comme une cinquantaine de familles de Tashigang.
Vêtue d'une tunique traditionnelle aux manches brodées, elle pose pour les photographes dans sa maison sous des portraits du président chinois Xi Jinping et de Mao Tsé-toung, le fondateur du régime communiste.
C'est sous Mao, en 1951, que l'armée chinoise s'est emparée du Tibet, ou plutôt l'a "libéré pacifiquement" comme le veut la phraséologie du régime.
Tout en finançant la lutte contre la pauvreté, Pékin espère que le développement économique permettra d'éradiquer les velléités séparatistes au Tibet.
Cela s'accompagne d'une "marchandisation de la culture" tibétaine, s'alarme M. Barnett, expliquant que Pékin s'attend à ce que "le Parti recueille la gratitude (des habitants) pour sa générosité".
"Notre prochain objectif, c'est de faire venir des touristes étrangers", affirme Hu Xiongying, un responsable du district qui administre le village.
Mais pour l'heure, la plupart des visiteurs étrangers ne peuvent entrer au Tibet que munis d'un permis spécial et avec un guide dûment encarté. En 2019, seuls 270.000 touristes non-Chinois ont visité la région.