BRUXELLES : Rassurés par la volonté du président Joe Biden de "revitaliser" les alliances, les membres de l'Otan participent à un "sommet des retrouvailles" lundi à Bruxelles, mais les Européens sont méfiants et divisés face à la réorientation stratégique voulue par les Américains.
Deux points d'achoppement émergent: le financement de la défense et la Chine. "Il y a des convergences et il y a des divergences", reconnaît le secrétaire général de l'Alliance, le Norvégien Jens Stoltenberg.
Il s'est rendu lundi dernier à Washington pour finaliser la déclaration du sommet et s'est fait l'écho de la focalisation américaine sur la Chine.
"Nous constatons que la Russie et la Chine coopèrent de plus en plus ces derniers temps, tant sur le plan politique que militaire. Il s'agit d'une nouvelle dimension et d'un défi sérieux pour l'Otan", a-t-il expliqué dans un entretien accordé au quotidien allemand Die Welt avant le sommet.
Joe Biden a souhaité que "le défi sécuritaire posé par la Chine figure dans le communiqué", a indiqué la Maison Blanche.
Certains alliés ont renâclé. "Le coeur de l'Otan, c'est la sécurité de l'espace euro-atlantique. L'heure n'est pas à la dilution de l'effort", soutient l'Elysée.
"Le langage à propos de la Chine ne sera pas incendiaire. Il sera clair, direct et sans détour", a assuré dimanche le conseiller américain pour la sécurité nationale Jake Sullivan.
Panser les plaies
Le sommet commence lundi à 13H00 (11H00 GMT) et durera trois heures. Il va lancer la révision du concept stratégique de l'Alliance adopté en 2010 pour la préparer à faire face aux nouvelles menaces dans l'espace et le cyberespace.
Mais l'Otan doit également panser les plaies ouvertes par Donald Trump. Le retrait d'Afghanistan, décidé sans concertation avec les alliés, a mis à mal la crédibilité des opérations extérieures de l'Alliance.
L'Europe est en outre devenue plus vulnérable après la sortie des Etats-Unis de plusieurs traités conclus avec Moscou sur la maîtrise des forces nucléaires.
Enfin, la méfiance manifestée par Donald Trump à l'égard des Européens a échaudé le Vieux Continent. Et son refus de rappeler la Turquie à ses devoirs a exacerbé les tensions avec l'UE.
Face à ce constat d'affaiblissement, Emmanuel Macron avait jugé l'Alliance "en état de mort cérébrale". "L'Otan doit bâtir une règle de conduite entre alliés", a soutenu le président français à la veille du sommet.
Joe Biden doit avoir un entretien en tête à tête avec le président turc Recep Tayyip Erdogan sur ce sujet.
Mais le président américain doit ménager la susceptibilité de l'allié turc, prêt à assumer la sécurité de l'aéroport de Kaboul, indispensable au maintien d'une présence occidentale en Afghanistan.
Chevaux de Troie chinois
La Russie restera "la priorité numéro un". Mais les membres de l'Alliance sont également appelés à lutter contre "les chevaux de Troie chinois", note Alessandro Marrone dans une analyse publiée par l'Istituto Affari Internazionali.
"Il ne s'agit pas de déplacer l'Otan vers l'Asie, mais de tenir compte du fait que la Chine se rapproche de nous et qu'elle essaie de contrôler des infrastructures stratégiques", a expliqué Jens Stoltenberg à l'AFP. "L'Alliance doit se consulter davantage et investir mieux", plaide le Norvégien.
Les Européens se disent prêts. Mais ils veulent "la pleine reconnaissance" de leur contribution à la sécurité collective et demandent à être associés aux négociations sur la maîtrise des armements, avertit l'Elysée.
"Biden se montrera plus ouvert à un développement de l'Europe de la défense, mais cela ne sera pas gratuit. Les Américains seront plus exigeants, le moment venu, pour un alignement des Européens sur leurs propres priorités en Asie et dans le Pacifique", estime l'eurodéputé Arnaud Danjean, spécialiste des questions de défense.
Encore faut-il que les Européens soient jugés "fiables". Vingt et un pays de l'UE sont membres de l'Otan, mais huit seulement tiennent l'engagement de consacrer 2% de leur PIB à leurs dépenses militaires. La France est du nombre, pas l'Allemagne, ni l'Italie, ni l'Espagne.
Berlin a salué la proposition de Jens Stoltenberg de doter l'Alliance de moyens communs "pour dépenser plus et mieux". Mais Paris est contre. Or, l'unanimité est impérative pour les décisions au sein de l'Alliance.