PARIS: L'irruption du géant américain de la distribution Amazon dans la diffusion des droits TV de la Ligue 1 de football, la première d'un Gafa dans ce sport à une telle échelle, place le groupe français Canal+ sur la défensive, selon les analystes.
« C'est la première fois en France, mais aussi au niveau mondial qu'un Gafa (acronyme pour les géants des technologies Google, Apple, Facebook et Amazon) sera diffuseur principal d'un grand championnat national », souligne Philippe Bailly, du cabinet d'études spécialisé dans les médias, NPA Conseil, au lendemain d'un nouveau rebondissement dans le feuilleton des droits TV du foot français.
La Ligue de football professionnel (LFP) a décidé vendredi d'attribuer à Amazon la diffusion de huit des dix matches de chaque journée du championnat, pour 250 millions d'euros par saison, sur la période 2021-2024, après le fiasco Mediapro.
En 2018, la Ligue avait préféré le groupe espagnol à Canal+, lors de l'appel d'offre pour 2020-2024. Mais incapable de payer, Mediapro a jeté l'éponge début 2021.
Le choix d'Amazon « est celui de la solidité financière », avec ses 420 milliards de dollars de chiffre d'affaires, selon un dirigeant de club. Il fallait une valeur sûre « après la débâcle de Mediapro ». D'autant que « les conditions de paiement sont favorables aux clubs » car « une grande partie » des droits télévisés leur seront versés « dès cet été ».
Et « cela permet de préparer l'appel d'offres de 2024, qui arrivera vite, d'ici un an ou un an et demi », ajoute cette source.
Guerilla judiciaire
« Une nouvelle ère » s'ouvre pour la L1, saluait vendredi la plateforme de streaming Amazon Prime Video, qui diffuse films, séries et de plus en plus d'événements sportifs.
Canal+, diffuseur historique, allié à la chaîne de sport beIN, est détentrice de deux matches par journée de championnat. Mais, en colère, Canal a annoncé vendredi « se retirer » de la L1. Et va étudier les options légales ce week-end, ont assuré à l'AFP plusieurs sources proches du dossier.
Car la chaîne cryptée réclamait la réattribution des droits TV de tous les matches, et pas seulement de ceux du lot Mediapro.
Mais « la marge n'est pas très large pour Canal+ », estime Christophe Lepetit, du Centre d'économie du droit et du sport de Limoges. La chaîne « a déjà attaqué la décision de la Ligue deux fois et a été déboutée deux fois », rappelle-t-il.
La première en mars quand le tribunal de commerce de Paris a donné raison à la LFP, et vendredi quand l'Autorité de la concurrence a rejeté un recours de Canal+, qui accusait la LFP d' « abus de position dominante ».
« C'est Canal Plus qui a choisi l'épreuve de force permanente », estime un dirigeant de club. « Ces dix derniers mois, Canal a mené une guérilla judiciaire ininterrompue. Comment dans ce cas bâtir une relation de confiance sur le long terme ? ».
Golden Globe et vente de chaussures
Amazon Prime Video précisera « dans les prochaines semaines » son dispositif de diffusion des matches, et notamment le prix que les abonnés devront débourser.
La grille tarifaire sera scrutée avec d'autant plus d'attention, selon Philippe Bailly, que les « vrais acteurs audiovisuels » (comme Canal+) pourraient arguer d'une « distorsion de concurrence » par le géant de la distribution.
Le service de fidélisation d'Amazon, Prime, offre des avantages à ses clients pour le commerce en ligne (dont Amazon est le géant). Amazon Prime Video propose des contenus, dont des programmes produits par sa filiale Amazon Studio. Le fondateur du groupe, Jeff Bezos, « avait expliqué que quand il gagnait un Golden Globes, il vendait plus de chaussures », rappelle Philippe Bailly.
Pour Christophe Lepetit, avec l'achat de ces droits du foot, Amazon peut chercher à « développer son métier numéro un de plateforme d'e-commerce ».
Le géant du numérique investit le domaine du sport depuis quelques années, mais avec des accords encore largement centrés sur des évènements, comme récemment avec des matches de Roland-Garros ou quelques belles affiches de matches de foot, remarque Christophe Lepetit. Là « ils se lancent sur un exercice tout autre, en exploitant des droits dix mois sur douze ».
L'évènement « montre une fois de plus l'importance de la consolidation des diffuseurs historiques pour faire face à la concurrence exacerbée des plateformes internationales », a tweeté Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6.