LA HAYE: Plus de 800 personnes ont été arrêtées lors d'un gigantesque coup de filet international contre le crime organisé, après le décryptage de communications codées entre malfaiteurs, qui avaient utilisé sans le savoir des téléphones distribués par le FBI.
Le FBI, l'agence européenne de police Europol et plusieurs capitales ont révélé mardi que des milliers de téléphones censés permettre aux criminels de passer inaperçus pour organiser leur trafic de drogue, d'armes ou même des projets d'assassinats avaient été disséminés dans les rangs de la mafia, de syndicats asiatiques du crime organisé, de cartels de la drogue, ou encore de gangs hors-la-loi de motards.
Baptisée "Bouclier de Troie", Cette opération internationale impulsée par le FBI et reposait sur un appareil appelé "AN0M", qui a été distribué dans plus de 100 pays à des malfaiteurs qui l'utilisaient pour communiquer, sans se douter que la police était aussi destinatrice des 20 millions de messages qu'ils ont au total envoyés.
"Ces informations ont débouché au cours de la semaine dernière sur des centaines d'opérations policières dans le monde, de la Nouvelle-Zélande à l'Australie en passant par l'Europe et les États-Unis, avec des résultats impressionnants", a indiqué mardi Jean-Philippe Lecouffe, directeur adjoint des opérations à Europol, lors d'une conférence de presse au siège d'Europol à La Haye.
"Plus de 800 arrestations, plus de 700 lieux perquisitionnés, plus de 8 tonnes de cocaïne", a-t-il énuméré.
Outre les arrestations et l'interception de cargaisons de drogue, "plus de 100 menaces mortelles ont été déjouées" grâce à cette opération, a expliqué le directeur adjoint du FBI, Calvin Shivers, lors de la conférence de presse. "Les résultats sont stupéfiants", a-t-il dit.
250 arrestations en Suède et Finlande
Quelque 250 personnes ont été arrêtées en Suède et en Finlande dans le cadre du coup de filet mondial "Bouclier de Troie" contre le crime organisé révélé mardi, ce qui place les deux pays nordiques parmi les principaux concernés après l'Australie.
"Hier (lundi) tôt, la police suédoise a mené un de ses plus grands raids dans une opération menée par le renseignement contre le crime violent et les réseaux de trafic de drogue", a annoncé Linda Staaf, cheffe du renseignement de la police suédoise.
Au total, 150 personnes ont été arrêtées sur le territoire suédois, dont 70 lundi, a-t-elle expliqué lors de la conférence de presse organisée par Europol à La Haye, précisant que cinq citoyens suédois avaient également été interpellés en Espagne.
"Nombre d'entre eux ont des rôles importants, et une grande influence sur le marché de la drogue. Ceux qui organisent de la violence et des meurtres, par des fusillades ou des explosions, au beau milieu de la société suédoise", a affirmé la responsable policière.
La Suède tente depuis plusieurs années de contrer l'essor de bandes criminelles, qui s'est notamment traduit par un nombre élevé de fusillades mortelles et de règlements de compte dans un pays d'ordinaire plutôt paisible.
Pour son ministre de l'Intérieur Mikael Damberg, l'opération prouve que la police suédoise est "dans une grande offensive".
Le nombre élevé d'arrestations "montre à la fois que nous avons des gros problèmes de gangs en Suède mais aussi que la police suédoise a été au coeur de cette opération", a-t-il dit à l'agence TT.
Selon Mme Staaf, le coup de filet a permis d'éviter "une dizaine" de meurtres.
La police finlandaise a également annoncé avoir procédé à "près de 100 arrestations", avec des saisies de 500 kilos de drogues, d'armes et d'argent liquide.
Un atelier clandestin utilisant "des imprimantes 3D pour fabriquer des composants d'armes à feu" a également été démantelé à Tampere dans le sud du pays.
En Norvège voisine, sept arrestations ont eu lieu.
Pas de GPS, pas d'appel
Rien qu'en Australie, plus de 200 personnes ont été inculpées dans le cadre de cette opération qui, selon le Premier ministre australien Scott Morrison, "a infligé un coup dur au crime organisé dans ce pays, et qui aura un écho dans le monde entier".
A l'origine de "Bouclier de Troie" figurent l'infiltration par le FBI de "Phantom Secure", un autre système de communications cryptées, et le démantèlement retentissant d'un troisième, "Sky Global".
"La fermeture de ces deux plateformes de communications cryptées a créé un vide sur le marché des communications cryptées", a expliqué mardi la police néo-zélandaise.
Pour combler ce vide, "le FBI a opéré son propre système d'appareils cryptés, baptisé +AN0M+".
A en croire des documents judiciaires américains déclassifiés cités par le média américain Vice, le FBI a travaillé avec des personnes connaissant ces milieux pour développer et distribuer les appareils AN0M par l'entremise du réseau Phantom Secure en disséminant 50 téléphones, principalement en Australie.
Pas d'email, pas d'appel, pas de services GPS... Ces appareils ne permettait vraisemblablement que d'envoyer des messages, et uniquement à d'autres appareils AN0M.
«La police dans la poche»
Ils ne pouvaient s'acheter qu'au marché noir, pour environ 2.000 dollars et il fallait avoir, pour les autoriser, un code transmis par un autre utilisateur d'AN0M.
"Un criminel devait connaître un autre criminel pour obtenir ce matériel", a expliqué la police australienne dans un communiqué.
Celle-ci s'est appuyée sur des gens ayant de l'influence dans le milieu -y compris un baron de la drogue en cavale en Turquie- pour disséminer l'appareil.
"Les appareils ont circulé et leur popularité a grandi parmi les criminels, qui avaient confiance dans la légitimité de l'application car de grandes figures du crime organisé se portaient garants de son intégrité", a poursuivi la police.
"Ces influenceurs criminels ont mis la police fédérale australienne dans la poche revolver de centaines de délinquants présumés", s'est félicité le chef de la police australienne Reece Kershaw dans le communiqué.
"Au final, ils se sont passé les menottes les uns aux autres en adoptant et en faisant confiance à AN0M et en communiquant ouvertement avec, sans savoir que nous les surveillions tout le temps."
Rumeurs
Dans le même temps, ont été lancées des rumeurs sur la prétendue vulnérabilité d'un système concurrent baptisé "Ciphr".
Au total, ce sont 11.800 appareils qui ont été distribués sur tous les continents, les pays en ayant reçu le plus sont l'Australie, l'Espagne, l'Allemagne et les Pays-Bas.
Cette infiltration a visiblement volé en éclat en mars 2021 quand un blogueur a écrit en détail sur les failles de sécurité de AN0M, présenté comme un dispositif lié à l'Australie, aux Etats-Unis et aux autres membres de l'alliance de renseignements des FiveEyes. Ce post a été supprimé.
En Australie, 224 personnes ont été inculpées d'un total de plus de 500 chefs d'accusation, six laboratoires de fabrication de drogue ont été fermés, quantités d'armes et 45 millions de dollars australiens (29 millions d'euros) en liquide ont été saisis.
La police néo-zélandaise, qui a fait état de 35 arrestations, notamment pour trafic de drogue et blanchiment d'argent, a pour sa part décrit l'opération comme "la plus sophistiquée au monde contre le crime organisé qui ait été menée par les forces de l'ordre à ce jour".