Le Pakistan est en proie à des tensions depuis le 12 avril, quand Saad Rizvi, chef du Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), désormais interdit, a été arrêté à Lahore pour avoir menacé de lancer une campagne de désobéissance civile contre le gouvernement si celui-ci n’expulsait pas l’ambassadeur français à la suite de la republication en France, l’année dernière, de caricatures du prophète Mahomet.
De violentes manifestations ont paralysé les grandes villes et les autoroutes toute la semaine, faisant plus de six morts et 800 blessés parmi les policiers, selon le gouvernement.
Des photos de policiers, pris en otage par les partisans du TLP, aux jambes, bras, et têtes recouverts de pansements, font le tour des réseaux sociaux depuis une semaine.
Dimanche, le TLP a indiqué que trois de ses membres ont été tués lors d’affrontements devant son siège dans la ville de Lahore, dans l’est du pays. Le parti religieux a également pris en otage plusieurs membres de la police et des troupes paramilitaires, et a libéré onze officiers aux premières heures de lundi après des négociations avec le gouvernement.
Ces émeutes ont incité l’ambassade de France à demander à ses ressortissants de quitter temporairement le pays.
Rizvi est devenu chef du TLP en novembre après la mort subite de son père, le célèbre prédicateur Khadim Hussein Rizvi. Son parti s’est fait connaître lors des élections fédérales pakistanaises de 2018 en promettant de défendre les lois locales sur le blasphème, et qui prévoient la peine de mort pour toute personne qui insulte l’islam.
Le parti a l’habitude d’organiser des manifestations pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il accepte ses demandes. En novembre 2017, les partisans de Rizvi ont organisé un sit-in de 21 jours après la suppression d’une référence à la sainteté du prophète Mahomet dans le texte d’un formulaire gouvernemental.
À présent, le TLP appelle le gouvernement à honorer ce qu’il considère être un engagement pris en février pour expulser l’envoyé français avant le 20 avril, en raison de la publication des caricatures. Imran Khan, premier ministre du Pakistan, insiste que son gouvernement s’est uniquement engagé à débattre de la question au Parlement.
Lundi, Khan a affirmé que répondre aux demandes du TLP de rompre les liens diplomatiques avec la France nuirait aux exportations pakistanaises vers l’UE.
«Après de nombreuses difficultés, l'économie du pays se redresse, la roupie se stabilise, l'inflation diminue, les gens trouvent du travail, la richesse augmente dans notre pays, nos exportations augmentent et la roupie se renforce», explique Khan dans une allocution télévisée.
Selon lui, rompre les liens avec la France équivaudrait à rompre les relations avec l’ensemble de l’UE.
«La moitié de nos exportations de textile sont destinées à l’UE. Ceci s’arrêtera et entraînera une hausse de la pauvreté, du chômage et de l’inflation», poursuit Khan.
«Nous serons les perdants, mais la France ne sera pas affectée».
Plutôt que d’agir unilatéralement, Khan a indiqué que les dirigeants des pays musulmans devraient aborder collectivement la question du blasphème avec l’ONU et l’UE.
Nous devons faire comprendre aux pays occidentaux que le blasphème envers notre Prophète au nom de la liberté d’expression nous blesse. S’ils ne cessent pas cette pratique, nous pourrons alors procéder collectivement au boycott commercial», dit-il.
Selon Khan, c’est le seul moyen de « parvenir à l’objectif » de créer un environnement où personne n’oserait manquer de respect au prophète. Par ailleurs, il s’est engagé à mener personnellement une campagne mondiale dans ce sens.
Le discours de Khan survient alors que le gouvernement entame un troisième cycle de négociations avec le TLP.
«Nous sommes des adeptes des négociations, c’est notre credo», déclare Pir Noorul Haq Qadri, ministre fédéral des Affaires religieuses, dans une déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale lundi.
«Aucun gouvernement politique, démocratique et élu ne peut tolérer de telles actions, et ce qui s’est passé ces derniers jours est regrettable pour tout le monde».
Dimanche soir, le ministre de l’Information, Fawad Hussain Chaudhry, annonce que le gouvernement a été contraint de lancer une opération armée contre les manifestants après l’enlèvement de membres des forces de l’ordre.
«Le gouvernement croit aux négociations, mais il ne peut être soumis au chantage», souligne-t-ik. «L’opération a été lancée après l’enlèvement de membres de la police et des Rangers... Imran Khan est profondément attaché au prophète, et il en a parlé à tous les forums (locaux et mondiaux)».
Plus tôt dans la journée, Arif Rana, porte-parole de la police, a révélé que l’opération contre le TLP avait été arrêtée, car les attaquants étaient armés de cocktails Molotov et disposaient d’un camion-citerne contenant 50 000 litres d’essence.
Le soir, la situation était «au point mort». Des manifestants étaient assis sur le bord des routes, bâtons et cocktails Molotov à la main, pendant que les forces de l’ordre montaient la garde.
La semaine dernière, le ministre de l’Intérieur a annoncé qu’il comptait interdire le TLP pour avoir attaqué la police et les troupes paramilitaires et, pour avoir perturbé la vie publique durant les manifestations. La décision du ministère de l’intérieur a été approuvée par le cabinet fédéral, mais elle doit être ratifiée par la Cour suprême afin que le TLP soit officiellement dissout.
En octobre 2020, des manifestations ont éclaté dans de nombreux pays musulmans, dont le Pakistan, en raison de la réponse de la France à l’assassinat d’un enseignant qui a montré des caricatures du prophète Mahomet à ses élèves lors d’un cours de civisme. Le président Emmanuel Macron avait défendu les caricatures, en disant qu’elle relevait de la liberté d’expression.
Lors des manifestations de l’année dernière au Pakistan, le gouvernement a négocié avec le TLP et lui a accordé un nombre de demandes, notamment un accord sur un débat parlementaire concernant l’expulsion de l’ambassadeur français.
Le délai convenu pour tenir ce débat expire le 20 avril.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com