WASHINGTON: Joe Biden, devenu mercredi le 46e président des Etats-Unis, a lancé des appels à «l'unité», et a immédiatement pris une série de décisions pour marquer la rupture avec le mandat de Donald Trump dont les dernières semaines résonneront à jamais comme un triste souvenir dans la mémoire des Américains et l’histoire du pays.
Le démocrate est arrivé à la Maison-Blanche après avoir solennellement prêté serment sur les marches de ce même Capitole pris d'assaut il y a deux semaines par des partisans trumpistes chauffés à blanc par le refus du milliardaire républicain de reconnaître sa défaite.
Dans une ville de Washington aux allures de camp retranché pour éviter de nouveaux débordements, il a quitté sa limousine pour franchir les derniers mètres à pied entouré par sa famille.
Dans le Bureau ovale, Joe Biden a signé plusieurs décrets présidentiels pour faire face aux crises multiples et profondes que traverse l'Amérique et revenir sur les mesures phares de l'ère Trump, en engageant notamment le retour des Etats-Unis dans l'accord de Paris sur le climat et au sein de l'Organisation mondiale de la santé.
«Combattre le changement climatique»
«Nous allons combattre le changement climatique comme nous ne l'avons jamais fait jusqu'ici», a-t-il déclaré.
Il a aussi mis fin à l'interdiction d'entrée aux Etats-Unis pour les ressortissants de pays en majorité musulmans – une des premières mesures très controversées de son prédécesseur républicain.
«Moi Joseph Robinette Biden Jr, je jure solennellement que j'accomplirai loyalement les fonctions de président des Etats-Unis et que je ferai de mon mieux pour préserver, protéger et défendre la Constitution des Etats-Unis», avait-il déclaré auparavant en prêtant serment, la main sur la bible familiale tenue par son épouse Jill Biden.
Trump a laissé une lettre «très aimable»
Le président américain Joe Biden a affirmé mercredi que son prédécesseur Donald Trump lui avait laissé avant de s'envoler pour la Floride une lettre «très aimable».
«Le président a écrit une lettre aimable», a déclaré M. Biden depuis le Bureau ovale lors de la signature de ses premiers décrets.
Le nouveau président des Etats-Unis n'en a pas dévoilé la teneur, soulignant que cela relevait du domaine «privé».
La cérémonie d'investiture au Capitole était un condensé de contrastes.
Contraste avec les violences du 6 janvier, qui ont fait cinq morts et suscité l'indignation. Et contraste entre le discours grave mais empreint d' espoir» prononcé par Joe Biden et celui, sombre et offensif, de son prédécesseur il y a quatre ans.
Celui qui est devenu à 78 ans le président le plus âgé en début de mandat a multiplié les appels à «l'unité» pour surmonter ce «sombre hiver», quelques heures après le départ de Donald Trump, qui a quitté Washington sans assister à ce moment historique.
«Président de tous les Américains»
«Je sais que les forces qui nous divisent sont profondes et réelles», a lancé le démocrate, sous les applaudissements d'invités triés sur le volet en raison de la pandémie.
Se posant en «président de tous les Américains», Joe Biden a prévenu que les Etats-Unis allaient entrer dans «la phase la plus dure et mortelle» de la Covid-19 qui a déjà fait plus de 400 000 morts dans le pays.
La journée restera dans les livres d'histoire aussi en raison de l'accession, pour la première fois, d'une femme à la vice-présidence de la première puissance mondiale. L'ex-sénatrice noire et d'origine indienne Kamala Harris, 56 ans, a prêté serment juste avant Joe Biden.
Fait sans précédent depuis 150 ans, le président sortant a donc boudé la cérémonie d'investiture de son successeur.
Donald Trump qui, pendant les quatre années de son mandat, a piétiné tous les usages et, pendant plus de deux mois, refusé d'accepter sa défaite, a quitté la Maison Blanche sans avoir rencontré Joe Biden.
A l'issue d'un mandat marqué par une avalanche de scandales et deux «impeachments», Donald Trump a, juste avant de partir, gracié 73 personnes, dont son ex-conseiller Steve Bannon.
Transfert des codes nucléaires: une valse à deux temps
Les codes nucléaires ont été remis mercredi, comme il se doit, au nouveau président des Etats-Unis Joe Biden, mais pour la première fois de l'Histoire, ce transfert habituellement discret a nécessité une chorégraphie en deux temps.
Parce que Donald Trump a refusé de participer à la cérémonie de son successeur, fait sans précédent depuis 150 ans, le transfert des codes qui se fait habituellement discrètement, sur la tribune de l'investiture, a nécessité cette année deux exemplaires du «football» nucléaire, cette valise contenant tous les éléments nécessaires à une frappe nucléaire, et qui accompagne le président américain en toutes circonstances.
Mercredi matin, lorsqu'il s'est envolé de la base militaire d'Andrews, près de Washington, pour rejoindre sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride, Donald Trump était encore président et à ce titre, suivi d'un aide militaire transportant le fameux «football». Il possédait encore une petite carte en plastique contenant les codes nucléaires, surnommée le «biscuit».
Mais au même moment à Washington, un autre aide militaire, porteur d'une autre valise et d'un autre «biscuit», a pris place sur la tribune érigée sur les marches du Capitole pour l'investiture de Joe Biden.
Et à midi pile, alors que traditionnellement, l'aide militaire du président sortant donne la valise à l'aide militaire du nouveau président, le «biscuit» de Donald Trump a simplement été désactivé, comme une carte de crédit arrivant à expiration.
Et un nouveau «biscuit» attribué à Joe Biden a été activé à Washington, donnant officiellement au 46e président des Etats-Unis le pouvoir absolu de faire usage de l'arme nucléaire.
Rassemblement et réconciliation
En public, l'ex-promoteur immobilier a seulement souhaité «bonne chance» à la nouvelle administration sans jamais prononcer le nom de Joe Biden. Et a promis de revenir «d'une manière ou d'une autre», avant d'arriver en Floride pour entamer dans son club de Mar-a-Lago, à 74 ans, sa vie d'ex-président.
Son vice-président Mike Pence était, lui, aux premières loges de la cérémonie d'investiture.
Emu, Joe Biden, costume sombre et cravate bleu ciel, masqué à son arrivée comme tous les invités, a donné l'accolade à Barack Obama, dont il fut le vice-président.
La star de la pop Lady Gaga a entonné l'hymne national, vêtue d'une robe rouge et noir bouffante et arborant une grande broche dorée représentant la colombe de la paix. Puis Jennifer Lopez a chanté «This land is your land» («Ce pays est ton pays»).
Le démocrate accède à la présidence après un demi-siècle de présence en politique, avec l'intention de marquer immédiatement la rupture -- sur le fond comme sur la forme -- avec l'ex-homme d'affaires de New York.
Après la cérémonie, il est allé se recueillir sur la tombe du soldat inconnu au cimetière militaire d'Arlington avec les ex-présidents Barack Obama, George W. Bush et Bill Clinton.
Autre image symbolique de la «réconciliation» et du «rassemblement» qu'il entend incarner, il avait assisté dans la matinée à une messe à la cathédrale Saint-Matthieu de Washington accompagné des chefs démocrates et républicains du Congrès.
Pas de foule mais des drapeaux
Cette journée était entourée de mesures de sécurité exceptionnelles dans une capitale fédérale méconnaissable, avec quelque 25 000 soldats de la Garde nationale et des milliers de policiers déployés.
Sur l'immense esplanade du «National Mall», plus de 190 000 drapeaux ont été plantés pour représenter le public absent. La zone était protégée par de hautes grilles parfois surmontées de barbelés.
Joe Biden a promis de renouer avec des alliés malmenés par Donald Trump.
«Welcome back» dans l'accord de Paris sur le climat, lui a lancé le président français Emmanuel Macron, tandis que la chancelière allemande Angela Merkel a dit sa «hâte» d'ouvrir «un nouveau chapitre».
Parmi les premiers tests internationaux figurent le bras de fer avec la Chine et la reprise du dialogue avec l'Iran.
Au moment où il prêtait serment, Pékin a annoncé des sanctions contre une trentaine de responsables de l'ex-administration Trump, dont son secrétaire d'Etat Mike Pompeo, pour violation de sa «souveraineté».
Le président iranien Hassan Rohani s'est réjoui, lui, de la «fin» de l'ère du «tyran» Donald Trump.
Maison Blanche transformée en forteresse
Joe Biden s'est installé mercredi à la Maison Blanche dans une capitale américaine transformée en forteresse, très loin de l'ambiance de liesse populaire qui envahit Washington tous les quatre ans en ce jour d'investiture.
Environ 25 000 soldats de la Garde nationale - contre seulement 8 000 il y a quatre ans - et des milliers de policiers ont été déployés dans la ville, dont le centre était une «zone rouge» aux accès strictement contrôlés et entouré de hautes grilles métalliques.
Pour Joe Brunner, un New-Yorkais de 42 ans, le périmètre grillagé «ressemble à l'entrée d'une base militaire en temps de guerre».
La foule, qui se masse habituellement dans la capitale pour apercevoir le nouveau président, a été priée de rester à la maison en raison de l'épidémie de coronavirus et des risques de violence.
Les autorités craignaient aussi des incidents, deux semaines après l'assaut contre le Congrès par des milliers de partisans de Donald Trump pour tenter d'invalider la victoire du démocrate.
Les Américains n'ont vu cette journée qu'à travers les images des grandes chaînes de télévision qui ont retransmis en direct chaque étape de son intronisation.
La grande artère Pennsylvania Avenue, entre le Congrès et la Maison Blanche, que le président fraîchement élu emprunte habituellement sous les vivats de la foule, est restée déserte. Le cordon de policiers n'avait rien à surveiller au passage du convoi présidentiel.
Cette année, le président américain n'a marché que quelques dizaines de mètres pour entrer dans la Maison Blanche, devant les objectifs des photographes de presse et des caméras de télévision.
Il a plusieurs fois fait quelques pas de course pour aller répondre brièvement à des journalistes ou saluer la maire de Washington, Muriel Bowser.
Fête par procuration
Autour de cette «zone rouge», la circulation était limitée. Véhicules militaires, camions et déneigeuses bloquaient l'accès aux sites les plus sensibles, comme la cathédrale Saint-Matthieu où Joe Biden et sa vice-présidente Kamala Harris ont assisté dans la matinée à une messe.
La «zone rouge» comprend la colline du Capitole, où le président a prêté serment à la mi-journée, la Maison Blanche et le Lincoln Memorial, de l'autre côté de la grande esplanade du «National Mall» où des centaines de milliers de personnes avaient assisté à l'investiture de Barack Obama en 2009.
Au nord de la Maison Blanche, quelques dizaines de supporteurs de Joe Biden ont marqué l'événement par procuration, sur la «Black Lives Matter Plaza».
Le contraste est saisissant par rapport au 3 novembre, quand plusieurs milliers de personnes avaient fêté son élection sur ce tronçon de rue baptisé en mémoire des Afro-Américains victimes de violences policières.