PARIS: En reculant sur l'article 24 de la proposition de loi "Sécurité globale", l'exécutif espère enfin sortir d'une tempête politique qui a fortement fait tanguer la majorité, mais la suite s'annonce toujours incertaine et mouvementée face à une opposition qui ne désarme pas.
Avec l'annonce lundi de la "réécriture totale" de l'article controversé, dans le sillage d'une réunion à l'Elysée avec Emmanuel Macron, exécutif et majorité LREM/MoDem/Agir espèrent "lever les doutes" des opposants qui les accusent d'attaquer les libertés d'informer et d'expression.
L'article objet de toutes les critiques, qui prévoit de pénaliser la diffusion malveillante d'images de forces de l'ordre, est de fait neutralisé, en attendant son intégration probable dans le projet de loi "séparatismes", présenté le 9 décembre en Conseil des ministres.
Après d'âpres débats à l'Assemblée nationale, les tensions avaient explosé avec la diffusion sur les réseaux sociaux d'images du tabassage par des policiers d'un producteur noir à Paris, puis l'annonce, fustigée par les parlementaires, d'une commission indépendante chargée de réécrire l'article conspué par la gauche, la presse et les défenseurs des libertés publiques.
La "réécriture" annoncée lundi, cette fois par la majorité, n'est pas, pour la présidente de la commission des Lois à l'Assemblée Yaël Braun-Pivet, un recul: "l'objectif que nous poursuivions est intact", a-t-elle assuré mardi sur RTL en évoquant la volonté de mieux protéger les policiers.
Et pour prouver que le gouvernement ne veut "pas attenter à la liberté de la presse", l'article sera "retiré la loi de 1881", confirme-t-elle.
"Colère froide"
La commission des Lois de l'Assemblée va maintenant consulter pour "finaliser une proposition remise avant les vacances de fin d'année" selon Matignon. Elle sera ensuite "soumise par le Premier ministre au Conseil d'Etat et pourra après rentrer dans le débat parlementaire dans les mois qui viennent", précise Mme Braun-Pivet.
Reste que la crise aura fait des dégâts jusque dans les rangs de la majorité, outrée par le "mépris" supposé de l'exécutif pour son travail.
Il a fallu l'intervention du chef de l'Etat lundi, d'"une grande clarté et fermeté" selon une source gouvernementale, pour trouver une porte de sortie.
Emmanuel Macron, qui "avait une colère froide" face à cette situation "assez inédite", considère qu'elle "a été largement coproduite", avec une dilution des responsabilités, a rapporté le chef de file des députés MoDem Patrick Mignola mardi sur RFI.
Devant les députés LREM mardi matin, Jean Castex a toutefois dit "prendre (sa) part de responsabilité", en les assurant de son souhait d'avoir avec eux des "relations les plus apaisées, de confiance et de travail collectifs", a raconté à l'AFP un participant.
Cette réunion, c'était "une séance de rabibochage très convenue", commente un autre.
"Eléphants macronistes"
La voie choisie suffira-t-elle à calmer les opposants au texte, alors que le reste de la loi "Sécurité globale" risque de rester marqué du sceau de cette bataille.
"Il ne s'agira pas simplement de changer l'ordre des mots, des points et des virgules dans l'article 24", prévient d'ores et déjà le numéro deux de LFI, Adrien Quatennens.
A gauche, certains saluent la reconnaissance par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, lors de son audition lundi par les députés, de l'existence, "peut-être", de "problèmes structurels" au sein de la police.
Mais la neutralisation de l'article 24 déçoit une droite qui ne cesse de réclamer au gouvernement des actes forts sur les questions sécuritaires. Le numéro deux de LR Guillaume Peltier a ainsi déploré mardi sur franceinfo "la main qui tremble" d'Emmanuel Macron et sa majorité.
Quand le gouvernement "recule sur l'article 24, il lâche les policiers", a résumé le porte-parole du Rassemblement national Sébastien Chenu sur Public Sénat.
Parlementaires de droite comme de gauche critiquent en outre les contorsions de l'exécutif pour tenter de calmer une crise politique qu'il n'a pas su éviter, en pleine crise sanitaire, économique et sociale.
Ils rappellent aussi que le texte, voté mardi en première lecture à l'Assemblée, est désormais aux mains du Sénat, à majorité de droite et le seul à même de le modifier.
"Les nouveaux éléphants macronistes gambadent encore dans le magasin de porcelaine institutionnel", a moqué Jean-Luc Mélenchon, leader de LFI, tandis que le patron des députés LR Damien Abad critique l'"amateurisme constitutionnel" de l'exécutif.