PARIS : Dans le nord de l'Allier, le médecin Michel Zilber, 69 ans, continue d'exercer bien qu'en retraite depuis deux ans: face au manque de praticiens sur une large part du territoire français, les généralistes à la retraite constituent un recours pour assurer l’accès aux soins des patients.
«J’ai à cœur de continuer à être utile aux patients ainsi qu’à mes collègues», explique à l'AFP ce médecin, qui continue d’effectuer des remplacements dans la maison de santé où il exerçait, à Yzeure, une commune de 13.000 habitants dans un département rural.
Ses quatre confrères généralistes rechignent à accepter de nouveaux patients. «Quand je me suis installé dans les années 1980, il y avait une véritable concurrence entre les médecins, les patients étaient maîtres du jeu. Maintenant, ils se retrouvent en situation d’errance médicale», regrette-t-il.
Près de 6 millions de patients n'ont pas de médecin traitant en France, selon l'Assurance maladie.
«Etant donné l’état actuel du système de santé, si on ne fait pas travailler les médecins plus longtemps, ce sera la pénurie», déclare Sylvaine Le Liboux, généraliste dans l’Indre et secrétaire générale du syndicat Généralistes-CSMF.
Dans l'Indre, «les médecins à la retraite sont indispensables au fonctionnement du SAS 36», ce dispositif mis en place fin 2021 pour orienter dans leur parcours de soin les patients sans médecin traitant --dont le nombre est estimé entre 25.000 et 30.000 pour ce département.
Ces «sans médecins traitants» sont orientés vers les praticiens à la retraite en cumul d’activité par les opérateurs de la plateforme téléphonique du SAS 36, permettant ainsi de désengorger les urgences hospitalières.
Depuis la loi Fillon de 2003, les médecins libéraux peuvent cumuler leur retraite avec une activité professionnelle, sans plafonnement de revenus depuis 2009. Cette dernière mesure financière a été particulièrement incitative pour ces jeunes retraités dont «les pensions ne sont pas très élevées par rapport aux revenus qu'ils avaient en activité», explique Sylvaine Le Liboux.
- «Mobilisation du vivier» -
Au 1er janvier 2022, selon l’Ordre national des médecins, plus de 19.000 médecins étaient retraités actifs (dont 44% de généralistes), contre 5.600 en 2010.
Dans les départements les moins peuplés, les médecins retraités actifs représentent un poids plus important parmi les professionnels en activité. Dans l’Allier, par exemple, 14% des médecins sont en situation de cumul emploi-retraite.
Deux réformes ont contribué à diminuer drastiquement le nombre des médecins sur le territoire: l’instauration du numerus clausus en 1971, qui limite les places en deuxième année, finalement aboli en 2020, et la création de la Mesure d’incitation à la cessation d’activité (Mica), entre 1988 et 2003, qui permettait aux médecins libéraux de partir en retraite dès 57 ans.
«Le desserrement du numerus clausus permettra d’améliorer la situation seulement à l’horizon 2030, il faut le temps de former toute une nouvelle génération de médecins pour que les effectifs augmentent», relève Yves Decalf, président du syndicat national des médecins concernés par la retraite (SN-MCR).
Il prône «la mobilisation du vivier des médecins à la retraite». «Mais encore faut-il leur faciliter les démarches administratives et surtout alléger les cotisations sociales», dit-il.
«Cela ne choque personnes que les jeunes bénéficient d'une aide à l'installation, mais les retraités devraient aussi pouvoir bénéficier de certains avantages», plaide Sylvaine Le Liboux.
L’allègement des cotisations sociales pour les médecins en cumul emploi-retraite est le cheval de bataille des praticiens concernés. Le Syndicat des médecins libéraux (SML) réclame «la suppression de toutes les cotisations sociales des médecins retraités actifs».
Premier pas en ce sens, un amendement porté par le député LR (et médecin anesthésiste) Philippe Juvin au projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui vient d'être adopté en commission et qui pourrait être validé par le Parlement. Il vise à supprimer les cotisations retraites des médecins retraités en situation de cumul.