La pierre de Rosette ou la stèle noire qui a permis de découvrir la civilisation de l’Égypte ancienne

Une nouvelle exposition du British Museum marque les 200 ans de la découverte du code de la pierre de Rosette. (© The Trustees of the British Museum)
Une nouvelle exposition du British Museum marque les 200 ans de la découverte du code de la pierre de Rosette. (© The Trustees of the British Museum)
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Publié le Samedi 15 octobre 2022

La pierre de Rosette ou la stèle noire qui a permis de découvrir la civilisation de l’Égypte ancienne

  • Pendant des siècles, l'Égypte ancienne est demeurée dans l'obscurité, jusqu'à la découverte d'une dalle de pierre qui a mis les égyptologues à l'épreuve
  • La pierre de Rosette, vieille de 3 000 ans et gravée en trois langues différentes, permettra de comprendre les hiéroglyphes de l'Égypte ancienne

LONDRES: D'un point de vue militaire, l'invasion française de l'Égypte en 1798, qui visait à perturber le commerce et l'influence britanniques en Afrique du Nord et en Inde, a été un échec total. Cependant, elle semble avoir accidentellement permis de comprendre 3 000 ans d'histoire de l'Égypte ancienne.

Une armée de 50 000 hommes sous le commandement de Napoléon Bonaparte a débarqué à Alexandrie le 2 juillet 1798. Au cours des trois années qui ont suivi, les troupes françaises ont connu une série de victoires, et parfois des défaites, en Égypte et en Syrie.

Mais, après que la marine britannique a fait échouer la flotte de Napoléon dans la baie d'Aboukir lors de la bataille du Nil, le 25 juillet 1799, l'armée française, affaiblie et ravagée par la maladie, tourmentée par les forces ottomanes et britanniques, s'est retrouvée piégée dans une terre hostile et étrangère. Sans issue et sans possibilité de renfort, la fin était inévitable.

Napoléon le savait et, dans la nuit du 22 août 1799, il a abandonné ses troupes, a regagné Paris et connu son ultime destin : en 1804, il sera couronné empereur des Français.

Ceux qui restaient de son armée en Égypte ont tenu bon, même après l'assassinat du commandant successeur de Napoléon, et se sont finalement rendus aux Britanniques à Alexandrie le 2 septembre 1801.

Dans le cadre de l'expédition, Napoléon avait ordonné le pillage massif d'antiquités qui devaient être ramenées en France. Mais, après la capitulation française, la plupart de ces objets sont tombés entre les mains des Britanniques. Parmi le butin ramené au British Museum figurait un bloc de pierre polie sur lequel était gravée une écriture en trois langues différentes - grec ancien, démotique et hiéroglyphes égyptiens.

Découvert en juillet 1799 par un ingénieur de l'armée française qui renforçait les défenses d'un fort ottoman du XVe siècle capturé près de Rosette, sur la rive occidentale du Nil, l'objet est connu sous le nom de «la pierre de Rosette».

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Détail du Livre des Morts de la reine Nedjemet, papyrus, Égypte, 1070 avant J.-C., 21e  dynastie. (© The Trustees of the British Museum)

Ainsi, cet objet se révèlera être la clé de la compréhension des hiéroglyphes de l'Égypte ancienne.

Bien que de nombreux érudits européens maîtrisent le grec ancien, il a fallu attendre plus de deux décennies pour qu'ils parviennent à déchiffrer le code de la pierre de Rosette. Cette découverte a marqué un tournant dans l'histoire de l'égyptologie, que le British Museum célèbre ce mois-ci avec une nouvelle exposition majeure réunissant une collection de plus de 240 objets, dont la pierre de Rosette.

L'exposition intitulée «Hiéroglyphs: Unlocking Ancient Egypt» (Hiéroglyphes: la découverte de l'Égypte ancienne), coïncide avec le 200e anniversaire de la dernière découverte réalisée par le philologue et orientaliste français, Jean-François Champollion en 1822.

« Le déchiffrage des hiéroglyphes de la pierre de Rosette a permis de découvrir 3 000 ans d'histoire égyptienne», a déclaré Ilona Regulski, conservatrice de la culture écrite égyptienne au British Museum, à Arab News.

« Jusqu'alors, personne ne savait jusqu'où remontait la civilisation égyptienne antique, ni combien de temps elle avait duré. Mais après sa découverte, Champollion a pu traduire les noms des rois et établir une chronologie royale qui remontait bien plus loin dans le temps que ce à quoi l'on s'attendait ».

« Très vite, on a aussi compris qu'il s'agissait d'une civilisation complexe qui entretenait des relations avec ses voisins, parfois pacifiques, parfois violentes, et petit à petit, nous avons mieux compris cette société ».

« Grâce aux historiens grecs qui ont rapporté certaines pratiques qu'ils ont vues, nous avons appris que les anciens Égyptiens momifiaient leurs morts. Mais nous ne comprenions pas vraiment comment ces gens vivaient et découvraient leur univers ».

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Linteau du temple du roi Amenemhat III, Hawara, Égypte, 12e dynastie, 1855-08 avant J.-C., (© The Trustees of the British Museum)

Décrypter le code de la pierre de Rosette était une tâche complexe qui a mis à l'épreuve l'esprit des universitaires européens. Bien que la pierre présente trois traductions du même décret, elles ne sont pas littéralement identiques.

« Champollion et ses compagnons ont commencé par examiner le texte grec et identifier les mots qui revenaient souvent, comme par exemple le mot désignant le temple, ou le titre de basileus (terme désignant le monarque) », explique Regulski. « Ils ont regardé le texte démotique pour voir s'il y avait un groupe de signes qui apparaissaient plus ou moins au même endroit ».

C'était un début raisonnable, mais un processus entravé par une réalité dont on n'avait pas conscience au départ : ni l'égyptien ancien ni le démotique n'étaient des écritures basées sur un alphabet, et un même mot pouvait être orthographié de plusieurs manières différentes dans un même document.

Une liste de signes, une sorte de dictionnaire égyptien ancien, a fini par être créée, « mais ce n'était pas suffisant pour comprendre l'ensemble du texte, ni pour l'utiliser afin de lire d'autres objets inscrits », a expliqué Regulski.

C'est Champollion qui a finalement compris que les hiéroglyphes étaient un système hybride.

« Il y a des signes alphabétiques, mais aussi des signes simples qui représentent deux ou trois lettres, ou même des mots entiers », a-t-il précisé. « Et certains sont des signes silencieux, ce que nous appelons des 'déterminatifs' en égyptologie. On ne les lit aucunement, mais ils indiquent le sens du mot précédent et permettent de savoir s'il s'agit d'un verbe ou d'un nom ».

En fait, les hiéroglyphes « semblent être un langage très simple, basé sur des symboles, mais c'est beaucoup plus compliqué que cela, et beaucoup plus complexe qu'une écriture alphabétique, et il a fallu beaucoup de temps pour comprendre cela ».

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Linteau du temple du roi Amenemhat III, Hawara, Égypte, 12e dynastie, 1855-08 avant J.-C., (© The Trustees of the British Museum)

L'écriture sur la pierre de Rosette s'est avérée être un décret rédigé en 196 avant J.-C. par des prêtres de Memphis, reconnaissant l'autorité du pharaon ptolémaïque Ptolémée V. Il aurait été rédigé à l'origine sur papyrus, avec des copies distribuées dans tout le royaume afin que le texte puisse être gravé sur des dalles de pierre, ou « stèles », pour être exposé dans les temples de toute l'Égypte.

Au cours des décennies qui ont suivi, neuf autres copies partielles du décret ont été découvertes dans divers sites égyptiens. Mais la pierre de Rosette est la plus complète et, sans elle, «la découverte de la tombe de Toutankhamon », fouillée par l'archéologue britannique Howard Carter en 1922, « aurait par exemple eu un aspect très différent», a dit Regulski.

« Il aurait été difficile pour Carter d'identifier le roi, ce qui est tout à fait crucial, et sa place dans le contexte de la chronologie de la 18e dynastie. Nous nous serions contentés de disposer d'une belle tombe avec de belles choses ».

Selon les critères de l'Égypte ancienne, la pierre de Rosette n'est pas si ancienne. « Pour nous, égyptologues», a poursuivi Regulski, «la pierre, qui date d'environ 200 avant J.-C., arrive très tard dans l'histoire des hiéroglyphes, un système d'écriture qui a été utilisé pour la première fois vers 3 250 avant J.-C.»

Et en 200 avant J.-C., les hiéroglyphes étaient déjà en voie de disparition.

« Le premier grand changement en Égypte a été l'utilisation du grec comme langue administrative ».

« Quand Alexandre le Grand a conquis l'Égypte en 332 avant Jésus-Christ, les gens parlaient déjà le grec ; la langue circulait depuis le VIIIe siècle à cause du commerce et parce qu'il y avait beaucoup de mercenaires grecs qui combattaient dans l'armée égyptienne et s'installaient dans le pays ».

« Mais depuis Alexandre le Grand, et surtout à l'époque ptolémaïque, le grec devient la langue de l'administration et évince peu à peu l'égyptien.»

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Dans le sens des aiguilles d'une montre en partant de la gauche : statue d'un scribe, calcaire, Égypte, 6e dynastie. (Musée du Louvre) ; coffret avec des hiéroglyphes sur le côté (British Museum) ; bandage de momie d'Aberuai, lin, Saqqara, Egypte, période ptolémaïque. (Musée du Louvre). 

Indépendamment du contexte historique de la découverte de la pierre de Rosette et de sa saisie par les Britanniques, « pour le domaine de l'égyptologie et pour l'Égypte, c'est vraiment quelque chose à célébrer », a affirmé Regulski.

« Aujourd'hui, il y a beaucoup d'égyptologues dans le monde, y compris nos collègues en Égypte, et nous travaillons tous ensemble. Nous formons une énorme communauté et essayons d'affiner nos connaissances sur l'Égypte ancienne, qui sont toutes issues de cette seule entreprise ».

Regulski, qui a travaillé pendant deux ans aux côtés de collègues égyptiens au Musée égyptien du Caire, n'a pas pu se prononcer sur la question controversée du retour de la pierre de Rosette dans son pays d'origine.

Plus de 100 000 objets issus du riche passé de l'Égypte seront conservés au Grand Musée égyptien, actuellement en cours de finalisation sur un site à l'ouest du Caire, près des pyramides de Gizeh.

Parmi ces objets figurent les 5 400 trésors enterrés avec Toutankhamon il y a plus de 3 300 ans, y compris son emblématique masque mortuaire. Après avoir fait le tour du monde pendant des décennies, ces trésors seront enfin déposés là où ils doivent l'être.

Toutefois, la pierre de Rosette – la clé pour tout comprendre – restera en Grande-Bretagne.

Le général britannique qui a ramené la pierre en Grande-Bretagne en 1801, après qu'elle a été prise aux Français, a choisi de la considérer, ainsi que 20 autres pièces, non pas comme un butin, mais comme « un fier trophée des armes de la Grande-Bretagne - non pas pillées à des habitants sans défense, mais honorablement acquises par la fortune de la guerre ».

L'exposition du British Museum présentera l'acte de capitulation français, prêté par les Archives nationales du Royaume-Uni et exposé pour la première fois. Selon un porte-parole du British Museum, il s'agit de « l'accord juridique qui prévoyait le transfert de la pierre de Rosette à la Grande-Bretagne, en tant que cadeau diplomatique, signé par toutes les parties, à savoir les représentants des gouvernements égyptien, français et britannique ».

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Cartonnage et momie de la dame Baketenhor. (Archives et musées de Tyne & Wear)

Aujourd'hui, un gouvernement égyptien pourrait à juste titre s'opposer à l'idée de décrire un officier de l'armée ottomane comme le gardien légitime du patrimoine égyptien.

À l'époque, on ne s'est certainement pas demandé si la pierre de Rosette et d'autres antiquités devaient rester en Égypte. C'est une question qui se pose avec de plus en plus d'acuité aujourd'hui, à une époque où les institutions occidentales telles que le British Museum sont soumises à une pression croissante pour restituer le butin des guerres et aventures impériales.

« Étant donné que j'ai travaillé en étroite collaboration avec les conservateurs égyptiens du musée, je dirais que [cette restitution] n'est pas une priorité pour beaucoup d'entre eux », a révélé Regulski. « Je trouve un peu triste que notre relation soit définie par la restitution ou non des objets, parce que notre relation avec nos collègues égyptiens est tellement plus importante que les objets individuels qui sont passés à tel ou tel autre endroit ».

« Il s'agit de célébrer l'Égypte ancienne, et il y a encore tellement de choses à faire en Égypte, tellement de choses à apprendre, à rechercher en collaboration, et c'est sur cela qu'il convient de se focaliser ».

La fascination du public pour l'Égypte ancienne trouve son origine dans la découverte de la pierre de Rosette, l'objet le plus visité du British Museum, et « dans une culture qui a laissé derrière elle un témoignage monumental de son existence, si bien préservé, et qui possède également un attrait visuel si puissant, que l'on ne retrouve pas dans d'autres cultures anciennes ».

« Je pense que toute personne qui visite le musée est attirée par cette culture très visuelle et artistique, y compris le système d'écriture en soi. Si vous le comparez au cunéiforme, par exemple, vous serez davantage attirés par les hiéroglyphes, car ils sont si beaux, si visuellement attrayants. Je pense que c'est ce qui accroche les gens et les incite à vouloir en apprendre davantage sur cette culture ».

Le British Museum s'attend à ce que l'exposition, qui retrace l'histoire du déchiffrement des hiéroglyphes depuis les premiers efforts des voyageurs arabes médiévaux et des érudits de la Renaissance jusqu'au triomphe de Champollion en 1822, soit l'une des plus populaires à ce jour.

L’exposition «Hieroglyphs: Unlocking Ancient Egypt» est au British Museum du 13 octobre 2022 au 19 février 2023.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com

 


A Paris, le Centre Pompidou s'offre une dernière fête avant cinq ans de fermeture

un feu d'artifice intitulé "Le Dernier Carnaval" au Centre Pompidou (Beaubourg) à l'occasion de sa fermeture pour un projet de rénovation de cinq ans, à Paris, le 22 octobre 2025. (AFP)
un feu d'artifice intitulé "Le Dernier Carnaval" au Centre Pompidou (Beaubourg) à l'occasion de sa fermeture pour un projet de rénovation de cinq ans, à Paris, le 22 octobre 2025. (AFP)
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  • Le Centre Pompidou organise un dernier week-end festif baptisé « Because Beaubourg » avant cinq ans de travaux, transformant ses huit étages en un immense terrain de jeu mêlant concerts, performances et expériences immersives
  • L’événement, réunissant 80 artistes et plusieurs grandes marques partenaires, célèbre la culture et l’esprit d’ouverture du lieu avant sa fermeture pour rénovation complète

PARIS: Dans un tourbillon de musique, d'images et de patins à roulettes, le Centre Pompidou à Paris s'offre un dernier week-end festif avant cinq ans de travaux, avec "Because Beaubourg", événement qui transforme l'intégralité du bâtiment en un immense terrain de jeu.

"Je suis venu parce que j'ai entendu dire que c'était la fermeture. Et j'avais envie de participer à ça une dernière fois, pour en profiter un petit peu", explique à l'AFP Eliot Ibert, 23 ans, en coloriant une fresque participative.

Fermé au public depuis le 22 septembre, le bâtiment aux emblématiques tuyaux colorés rouvre ses portes ce week-end avec un parcours inédit. De vendredi à dimanche, quelque 80 artistes se produisent à travers concerts, DJ sets, performances, masterclasses, projections et expériences immersives sur les huit étages.

"C'est le plus grand événement que le Centre Pompidou ait fait depuis son ouverture", assure Paul Mourey, codirecteur artistique de l'événement, imaginé avec le label Because Music.

- "Spleen" -

Chaque étage propose une expérience différente. Au niveau -1, des pianistes amateurs se succèdent devant une fresque des étudiants des Beaux-Arts, tandis que le Forum, au rez-de-chaussée, devient le théâtre de performances en journée et un club illuminé la nuit.

Le Village des enfants prend place au 3e étage, tandis que plusieurs artistes et sociétés ont investi le 4e niveau. Shygirl, Shay ou Pedro Winter, fondateur du label Ed Banger, ainsi que les entreprises Spotify, Samsung et Snapchat, qui proposent de tester ses lunettes de réalité augmentée, participent à des installations et expériences interactives.

Autant de partenaires qui contribuent à financer l'événement.

Le premier et le sixième étage accueillent, de jour comme de nuit, des artistes tels que Catherine Ringer, Christine and the Queens, Selah Sue, Keziah Jones ou Sébastien Tellier.

Le musicien français, qui profite de l'événement pour promouvoir son nouvel album prévu en janvier, souligne l'importance de participer à cette célébration : "La culture, aujourd'hui, elle est rare. Quand il y a des petits îlots de culture, c'est important d'y être. Je n'avais pas envie de manquer ça."

Brigitte Baleo, 78 ans, retraitée ayant travaillé dix ans à la bibliothèque du Centre Pompidou, confie que la fermeture lui laisse "un peu de spleen".

"Ça tend l'estomac, il y a trop de souvenirs", ajoute-t-elle, émue. "Mais il faut que la fermeture ait lieu, pour réhabiliter ce monument".

Conçu en 1977 comme un lieu "ouvert à tous" par les architectes Renzo Piano et Richard Rogers, le bâtiment souffre aujourd'hui de vétusté.

Désamiantage, accessibilité du lieu, sécurité et complet réaménagement intérieur sont au menu de ses importants travaux de rénovation.

- Rollers et vue panoramique -

Cette fermeture, "c'est quelque chose qui me touche", abonde Florence, qui n'a pas souhaité donner son nom.

Férue d'électro, la Bordelaise de 57 ans vient d'assister au deuxième étage à "Space Opera", un film musical du duo français Justice projeté comme une expérience de clubbing, à quelques pas de l'installation inédite Camera/Man de Thomas Bangalter, un des deux membres de Daft Punk.

Pour encore plus de mouvements, elle compte bien expérimenter le Roller Disco qui fait vibrer l'ancienne galerie 1, au dernier étage.

Entre DJ sets, patins à roulettes et vues panoramiques sur Paris, l'ambiance mêle nostalgie et effervescence festive.

Gulliver Hubard, un étudiant britannique de 20 ans, savoure lui sa première visite. "C'est une chance de le voir avant sa fermeture", assure-t-il.

En journée, le programme est entièrement gratuit, et les organisateurs espèrent accueillir entre 10.000 et 15.000 visiteurs par jour.

Le programme nocturne, payant, a lui été pris d'assaut : les 12.000 billets se sont arrachés en à peine une journée.


AlUla ou comment le désert devient atelier d’art

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  • AlUla se transforme en laboratoire artistique où design, architecture et patrimoine dialoguent avec le désert
  • Entre traditions locales et innovation contemporaine, le désert devient un espace d’expérimentation, d’apprentissage et de création, où culture et paysage s’influencent mutuellement

PARIS: De la résidence de design à la construction du futur musée d’art contemporain confié à Lina Ghotmeh, AlUla se façonne dans le respect de sa mémoire et de son paysage.

À Paris, une table ronde organisée par la RCU et AFALULA a révélé les coulisses de cette transformation, celle d’un territoire millénaire devenu laboratoire d’expérimentation et vitrine du dialogue culturel franco-saoudien.

Dans le parc de l’hôtel des maisons (un hôtel particulier parisien construit au XVIII), la conversation s’est ouverte sur une question presque philosophique : comment bâtir dans le désert sans le dominer ? Comment concevoir à AlUla, ce paysage d’infini, une architecture qui parle à l’échelle humaine ?

La table ronde, intitulée “From the Land Up: Designing AlUla from Desert to Human Scale”, a réuni les acteurs clés du projet et plusieurs anciens résidents du programme AlUla Design Residency, créé il y a deux ans.

Ils ont tous en commun d’avoir approché cette terre d’exception, non comme un territoire vierge, mais comme un organisme vivant, porteur d’histoires et de voix anciennes.

L’événement, organisé par la Commission royale pour AlUla (RCU) et l’agence Française pour le développement d’Alula (AFALULA), a célébré l’ADN rare de cette région, qui est un mélange entre fouilles historiques, architecture, design et diplomatie culturelle notamment avec la villa Hegra. 

AlUla, déjà célèbre pour son patrimoine nabatéen et ses falaises sculptées par le vent, devient aujourd’hui un territoire d’expérimentation artistique mondiale, où le passé inspire le futur, et lui donne forme.

Au centre du projet, la vision de Lina Ghotmeh, architecte franco-libanaise à la tête du futur musée d’art contemporain d’AlUla, « Le musée ne doit pas être une icône posée dans le désert » explique-t-elle, « mais un générateur de liens, un espace de rencontre et d’hospitalité ».

Implanté près d’une ancienne oasis agricole, le musée s’enracinera dans le paysage tout en redonnant vie à des savoir-faire ancestraux, « nous travaillons avec la terre locale, avec des techniques de construction traditionnelles : torchis, terre comprimée, architecture bioclimatique, l’objectif est de renouer avec les ressources naturelles et la mémoire des lieux », souligne l’architecte.

Ghotmeh évoque aussi le dialogue qu’elle a tissé avec la communauté locale, « j’ai passé du temps à rencontrer les habitants, à partager un thé sous un oranger, à écouter les femmes qui ravivent l’artisanat, à visiter les écoles ».

Un jour, une fillette m’a dit, « le musée, c’est le lieu de l’extraordinaire, cette phrase m’accompagne toujours, car au fond, c’est bien de cela qu’il s’agit, créer un lieu qui relie la connaissance, l’émotion et la beauté ».

Dans son approche sensible, le musée devient un prolongement du paysage, un lieu où les visiteurs respireront la même lumière que les habitants, où la culture se fera conversation et échange.

« Il ne s’agit pas d’importer la culture, mais de la créer à partir du territoire », souligne Arnaud Morand, responsable des arts et industries créatives à AFALULA, c’est cette conviction qui guide toute la programmation culturelle d’AlUla.

L’une des premières grandes expositions préfigurant le musée verra le jour en janvier prochain, consiste en une collaboration entre AlUla et le Centre Pompidou, présentée d’abord dans une architecture temporaire conçue sur place avant de voyager dans le monde.

« C’est une coopération basée sur l’échange de savoirs et la lenteur, dit-il. À AlUla, on apprend à prendre le temps, l'art naît du sol, pas de la vitesse ».

Cette philosophie irrigue aussi les résidences de design et d’artistes qu’AFALULA co-dirige sur place, des programmes où jeunes talents et créateurs confirmés expérimentent à ciel ouvert, dans une relation directe avec le territoire, « Là-bas, chaque projet s’élabore dans l’écoute et l’humilité » affirme Morand.

« Lorsque nous arrivons à AlUla, nous devons laisser nos certitudes à la porte du désert » observe Ali Al Gazzaoui responsable du programme de résidences d’artistes, « il faut apprendre à écouter les habitants, à comprendre leur rapport au paysage, à la lumière, à la convivialité ».

C’est cette humilité partagée qui transforme le désert en école, les fondateurs du Studio Raw Material, Dushyant Bansal et Priyanka Sharma, anciens résidents du programme, racontent leur découverte émerveillée d’un lieu où « le matériau est partout de la roche, au sable, à la chaleur, et la lumière, tout devient matière à création ».

Leur expérience les a conduits à réfléchir à une forme de design « hors des centres urbains » à la faveur d’une pratique ancrée dans la vie quotidienne et les gestes ordinaires, « à AlUla, on apprend à se salir les mains, à construire, à inventer avec ce que la nature nous offre ».

Cette approche artisanale et poétique rejoint la vision d’Ali Alghazzawi, pour lui, « notre mission est de créer un écosystème où les créatifs peuvent dialoguer librement avec le paysage et expérimenter, car la durabilité ne se décrète pas, elle se vit ».

Tout ceci confère à AlUla qui est un site touristique d’exception, une autre dimension qui est celle de pépinière d’idées, de territoire d’apprentissage et de création contemporaine.


Le Gray fait son grand retour à Beyrouth : symbole d’espoir et de renouveau

Le chef étoilé Alan Geaam au Le Gray à Beyrouth, le 14 octobre 2025. De retour dans son pays natal après son succès à Paris, il dirige les cuisines de l’hôtel. (AFP)
Le chef étoilé Alan Geaam au Le Gray à Beyrouth, le 14 octobre 2025. De retour dans son pays natal après son succès à Paris, il dirige les cuisines de l’hôtel. (AFP)
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  • Cinq ans après l’explosion du port, Le Gray rouvre ses portes en novembre 2025, devenant un symbole fort de relance pour le centre-ville de Beyrouth et l’hospitalité libanaise
  • Sous la direction de Charles Akl et du chef étoilé Alan Geaam, l’hôtel incarne l’alliance du luxe, de la mémoire et du renouveau culturel, gastronomique et économique de la capitale

BEYROUTH: Cinq ans après l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth et la fermeture qui s’en est suivie, l’hôtel Le Gray s’apprête à rouvrir ses portes en novembre 2025, marquant un tournant symbolique pour la capitale libanaise. Situé sur la place des Martyrs, au cœur du centre-ville, cet établissement iconique, membre du réseau Leading Hotels of the World (LHW) retrouve son éclat d’antan et incarne l’espoir d’un renouveau pour l’hospitalité et la culture libanaises.

Un nouveau souffle pour Beyrouth

La réouverture de Le Gray intervient dans un contexte d’effort de relance économique. Depuis l’arrivée d’un nouveau gouvernement en janvier 2025, le Liban semble s’engager dans une phase de stabilisation et de redressement. L’ouverture des Beirut Souks plus tôt en octobre a déjà insufflé un vent d’optimisme dans une ville meurtrie, encore marquée par les séquelles de la guerre de 2024.

« C’est un retour à la vie et une réaffirmation de notre engagement envers Beyrouth, » déclare Charles Akl, directeur général de Le Gray.

« Le Gray a toujours été plus qu’un hôtel : c’est un symbole, un lieu de rencontre, une part de l’âme de la ville. Aujourd’hui, il revient pour redonner espoir et dynamisme au centre-ville. »

La gastronomie au cœur du renouveau

Symbole fort de ce retour : la cuisine. Le chef franco-libanais Alan Geaam, seul chef libanais étoilé au Guide Michelin, prend les commandes des restaurants de l'hôtel. Après vingt-sept ans en France, il signe ici un retour aux sources empreint d’émotion et d’ambition.

« Mon objectif est de porter encore plus haut le nom du Liban sur la scène gastronomique internationale, » confie le chef. « C’est un honneur de revenir à Beyrouth, de former de jeunes talents et de faire rayonner notre cuisine. »

Alan Geaam introduit à cette occasion Qasti Beyrouth, déclinaison locale de son restaurant emblématique présent à Paris et dans d’autres grandes villes, ainsi que Padam, une adresse signature au sein de l’hôtel.

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Qasti Beyrouth : la cuisine d’Alan Geaam au cœur de Le Gray. (Photo: ANFR)

Une redécouverte d’un joyau urbain

À l’occasion du pre-opening de l’hôtel, un groupe de journalistes a été invité à redécouvrir les lieux. L’expérience a été décrite comme un moment d’émotion et de redécouverte, dans un cadre où se mêlent raffinement, art et mémoire.

Avec plus de 100 chambres et suites repensées sous la direction artistique de l’architecte Galal Mahmoud, l’hôtel allie élégance contemporaine et références subtiles à l’histoire et à la culture libanaises. Plus de 600 œuvres d’art ornent les espaces communs et les chambres, transformant l’hôtel en véritable galerie.

Le Gray propose également des espaces événementiels et de conférence modulables, capables d’accueillir aussi bien des événements professionnels que des célébrations privées.

Un lieu au carrefour du passé et de l’avenir

À quelques pas des Beirut Souks, du front de mer et de Zaitouna Bay, Le Gray se trouve à la croisée de l’histoire, de la culture et du renouveau économique. Il se veut désormais moteur du redéploiement touristique du centre-ville.

Pour Charles Akl, cette réouverture dépasse le simple acte économique : « C’est une responsabilité collective : celle de redonner de l’élan à la ville, de raviver les talents, et de réaffirmer la place de Beyrouth sur la carte mondiale de l’hospitalité et de la culture. »

Avec cette réouverture très attendue, Le Gray ne se contente pas de retrouver sa place dans le paysage hôtelier. Il incarne la résilience d’un peuple et la volonté d’un pays de se reconstruire, avec élégance et conviction.