HUALIEN, Taïwan : Tandis qu'un avion de chasse taïwanais rugit au-dessus des paysages verdoyants de l'est du comté de Hualien, Mulin Ou, cultivateur de pomelos, mesure le coût de la dernière mise sous pression de l'île par Pékin.
Les tensions au niveau du détroit de Taïwan ont atteint leur plus haut niveau depuis des décennies après la visite de la présidente de la Chambre américaine des représentants Nancy Pelosi au début du mois, qui a mécontenté la Chine.
Pékin, qui considère l'île démocratique de Taïwan comme sienne, a répliqué en organisant des manoeuvres militaires, propulsant des missiles au large de l'île, et a torpillé les exportations de certains fruits et poissons vers la Chine par de nouvelles interdictions d'importation.
L'impact général des dernières sanctions économiques chinoises est limité. Mais les producteurs comme M. Ou en paient un prix douloureux.
«Les commandes passées sur le continent ont toutes été annulées. Nos pomelos n'ont aucune possibilité d'y être acheminés», relate-t-il.
Depuis plusieurs décennies, son exploitation de Ruisui, dans le comté de Hualien, expédie chaque année 180 tonnes d'agrumes vers le continent.
«Les clients attendent les pomelos, mais nous ne pouvons rien faire, c'est un problème politique», déplore-t-il.
- Aucun préavis -
Les agriculteurs et les producteurs taïwanais doivent composer de plus en plus avec les interdictions d'importation prononcées par la Chine, que Pékin justifie le plus souvent en invoquant des irrégularités soudaines plutôt qu'un lien direct avec la politique.
Après la visite de Nancy Pelosi, la Chine a prohibé les agrumes et plusieurs poissons en provenance de Taïwan, tout en suspendant ses propres exportations vers l'île de sable employé dans la construction.
Le mois précédant sa visite, Pékin a interdit les importations de mérou, dont la grande majorité était auparavant destinée aux consommateurs chinois.
Taipei a déclaré que cette mesure était motivée politiquement, alors que la Chine a affirmé avoir découvert que certains poissons étaient contaminés par des produits chimiques interdits.
L'année précédente, les importations d'ananas avaient été suspendues, les autorités chinoises expliquant avoir trouvé des parasites dans les cargaisons.
Dans un site d'exploitation de mérous à Pingtung, dans le sud de Taïwan, le producteur Hans Chen explique qu'il serait «gravement affecté» si les sanctions n'étaient pas levées d'ici la fin de l'année.
M. Chen, 35 ans, est à la tête d'une exploitation de quelque 500.000 mérous, dont 90% des exportations sont destinées à la Chine.
L'interdiction a été imposée sans aucun préavis et est arrivée au pire moment pour les producteurs déjà éprouvés par la pandémie, explique-t-il.
Selon le pisciculteur, son entreprise et d'autres dépendent trop du lucratif marché chinois et doivent se diversifier pour s'éloigner de leur voisin.
«Tout le monde pensait que la situation (sanitaire) s'améliorait lentement, que le marché chinois se stabilisait peu à peu et que les prix allaient augmenter, et donc qu'il y aurait quelques bénéfices pour compenser les pertes passées», raconte-t-il. «C'est pour cela que les inquiétudes de chacun et les conséquences (des sanctions) sont très importantes.»
- Symbolique et limité -
La Chine demeure le premier partenaire commercial de Taïwan, le continent comptant pour 28% de ses exportations.
Le gouvernement et les entreprises de Taïwan ont cependant encouragé la diversification économique en réponse à l'agressivité accrue du régime présidé par Xi Jinping.
Depuis 2016, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen mène une politique d'accroissement des échanges avec le sud et le sud-est de l'Asie.
Taïwan bénéficie également d'un regain de sympathie de la part des démocraties de la région partageant les mêmes valeurs.
Une grande partie de la récolte d'ananas de l'année dernière a été sauvée lorsque les consommateurs japonais se sont empressés d'acheter des «ananas de la liberté» en signe de solidarité.
«La Chine est très sélective quant aux mécanismes de sanctions économiques contre Taïwan», explique à l'AFP Christina Lai, chercheuse au sein de l'organisme gouvernemental taïwanais Academia Sinica.
Taïwan est ainsi l'un des plus importants producteurs mondiaux de semi-conducteurs mais Pékin a évité de frapper ce marché sur lequel il compte pour satisfaire sa demande intérieure.
La Chine «s'est toujours abstenue de porter atteinte à son économie intérieure et à son industrie de la tech. Pékin ne peut se permettre d'interdire les importations les plus essentielles en provenance de Taïwan: les semi-conducteurs, les instruments de pointe et les machines», ajoute-t-elle.
L'impact général sur l'économie taïwanaise est ainsi «très limité», observe Fan Shih-ping, professeur à l'université normale nationale de Taïwan. «C'est une manipulation politique, la Chine veut montrer qu'elle mène la barque et contrôle Taïwan», ajoute-t-il.
Mais pour les agriculteurs devenus les victimes de la dernière escalade de tensions, l'ampleur des sanctions s'apparente à un séisme.
«Nous sollicitons l'aide du gouvernement, s'il peut nous aider d'une quelconque manière», déclare M. Ou. «Nous devons commencer à trouver des débouchés à l'intérieur du pays. C'est un vrai casse-tête.»