VESOUL, France : "Nous avons besoin d'aide". Invités du Festival des cinémas d'Asie (FICA) de Vesoul, dans l'est de la France, plusieurs réalisateurs afghans en exil ont appelé vendredi à maintenir et amplifier l'aide à leurs compatriotes, six mois après la prise du pouvoir par les talibans à Kaboul.
"Je reçois encore et toujours des appels au secours. Malheureusement, après les promesses d'évacuation, on a oublié. Ces gens ont été oubliés, c'est le silence absolu", déplore le réalisateur multiprimé Atiq Rahimi, réfugié en France depuis près de quarante ans, mais qui a toujours conservé ses liens avec sa terre natale.
Avec son homologue afghan Siddiq Barmak et le cinéaste iranien Mohsen Makhmalbaf, il est à l'origine d'un appel diffusé l'été dernier pour venir en aide à la population afghane, et particulièrement aux artistes et aux intellectuels, parmi les plus menacés.
"Sur les marchés, il y a des mères qui vendent leurs enfants à cause de la faim, parce qu'elles n'ont rien pour les nourrir", témoigne Mohsen Makhmalbaf, regard sombre derrière ses fines lunettes. "Il y a des artistes qui changent de logement tous les jours pour se cacher, qui ne peuvent plus travailler. C'est la voix du pays qui disparaît".
Réalisateur d'une dizaine de films sur l'Afghanistan, il est venu présenter "Kandahar", un long métrage de 2001 distingué à Cannes, qui évoque la détresse de la population après la première prise du pouvoir par les Talibans, en 1996.
"J'ai fait ce film il y a 20 ans. On pourrait croire qu'il parle du passé, mais pas du tout : il parle du présent et du futur de l'Afghanistan, parce que le pays retourne en arrière", s'alarme-t-il.
Mohsen Makhmalbaf évoque une liste de 800 personnalités en danger, adressée en juillet aux autorités françaises.
"Il y en a 302 qui ont été évacuées, dont 254 vers la France, et je suis reconnaissant pour cela envers le président Macron", explique le cinéaste qui vit désormais au Royaume-Uni. Mais il s'inquiète pour le sort des autres. "Nous avons encore besoin d'aide", insiste-t-il.
Visa compliqué
Sur le parvis du cinéma Majestic, qui héberge le festival, l'artiste Soraya Akhlaqi écrit "Non aux Talibans" en lettres de sang au cours d'une performance dédiées aux femmes.
"Les talibans dénient aux Afghanes les droits les plus élémentaires, elles ne peuvent plus apparaître en public, travailler ou se déplacer sans un accompagnateur masculin", raconte la réalisatrice. "Je vous demande de ne jamais reconnaître ce régime comme légitime", exhorte-t-elle.
Sa présence au festival est une victoire pour les organisateurs.
"Les démarches m'ont pris plus de temps pour faire venir deux Afghans que pour faire venir l'ensemble des 58 autres invités", explique Martine Thérouanne, la directrice du Fica.
"Mais ce n'est pas lié à l'Afghanistan: ces deux artistes résident désormais en Iran. C'est l'ambassade de France qui, longtemps, n'a pas voulu leur délivrer de visa, de peur qu'ils restent dans l'hexagone", déplore-t-elle, dénonçant le "double discours" de Paris sur l'accueil de réfugiés Afghans.
Le public, lui, apprécie la programmation foisonnante du festival, ses 84 films proposés sur une semaine, et ce focus sur la société afghane.
"Il y a une semaine, je travaillais avec un Afghan, et du coup, j'étais curieux de venir ici", témoigne Anthony Fellman, 36 ans, intérimaire à l'usine Peugeot de Vesoul.
"Ces films, ça éclaire ma lanterne sur ce qui a pu arriver à mon collègue", explique-t-il en sortant de la projection de "Osama", un film de Siddiq Barmak, qui évoque le destin d'une afghane de 12 ans que sa mère habille en garçon afin qu'elle puisse travailler.
"Ce festival, c'est un moyen formidable pour mieux comprendre le monde et mieux comprendre les gens", conclut-il.