RENNES : "Ma tête ne marche pas, je n'arrive pas à dormir et les enfants me demandent pourquoi on n’a pas de maison". Comme Ramzan, une centaine d'exilés occupent depuis samedi un gymnase à Rennes, dans l'ouest de la France, pour réclamer un toit pérenne après des mois, voire des années d'errance.
Derrière de larges tapis de gymnastique noirs dressés comme des paravents, des dizaines de familles tentent de préserver leur intimité et d'organiser leur vie. Demandeurs d'asile, déboutés ou primo-arrivants, la plupart viennent de Géorgie, Tchétchénie ou Albanie.
"Beaucoup étaient déjà là l'été dernier, dans le campement du parc des Gayeulles, à Rennes. En octobre, les Eclaireurs de France (un mouvement de scoutisme associatif, ndlr) les ont accueillis près de Rennes, mais la date butoir pour quitter les lieux était le 15 janvier", explique à l'AFP Yann Manzi, co-fondateur de l'association d'aide aux migrants Utopia 56.
Ramzan a fui la Tchétchénie avec sa femme il y a dix ans. Aujourd'hui père de quatre enfants, il raconte "être dehors" depuis 2017. "J'ai mal au coeur pour les enfants. A l'automne, on a dormi quatre mois dans une voiture", lâche-t-il. "On stresse en permanence, le petit pleure toujours et me dit +Papa, ne sors pas+. Il a vu comment la police m'a attrapé pour m'emmener au centre de rétention", poursuit le trentenaire, débouté de l'asile, qui compte sur ses années de présence en France pour régulariser sa situation.
Assis sur les gradins, Elisée, Congolais de 49 ans, tend son avant-bras, barré par une cicatrice. "On m'a tiré dessus, il y avait des massacres, j'ai été emprisonné pour mes opinions religieuses mais j'ai réussi à m'évader et à venir ici en 2018", raconte cet exilé qui espère "un toit", emmitouflé dans un blouson rouge.
« Sur le qui-vive »
Tamaria, Géorgienne de 26 ans et mère de trois enfants, ne comprend pas pourquoi "personne ne (l')aide après six mois passés de campement en campement".
"Mon mari était soldat dans l'armée. On a tout quitté à cause de la situation politique et là on se retrouve à la rue. On ne peut pas se laver car l'eau est froide, on ne mange que du sucré, ce n'est pas normal pour des enfants", confie-t-elle.
Au centre du gymnase, des enfants sautent sur un trampoline. Quelques livres pour enfants et peluches traînent, épars.
"Ils ne sont pas dans un très bon état général", relève Céline Farges, une pédiatre qui les suit depuis plusieurs mois. "Ils sont globalement assez fatigués, très grognons, très agités, très peu accessibles aux apprentissages. Même en mettant des jeux devant les petits, on voit bien qu'ils ne savent pas jouer, qu'ils ne peuvent pas se concentrer, qu'ils sont sur le qui-vive et n'ont pas de cycle +je dors, je mange, je joue+, c'est assez terrible".
Alors que la gestion des flux d'immigration et l'intégration des migrants est un thème récurrent de la campagne présidentielle française en cours, mairies et associations pointent auprès de l'AFP la responsabilité de l'Etat. "Ca fait plus d'un an qu'ils sont trimballés de solution non pérenne en solution non pérenne, c'est le ping-pong permanent avec la préfecture qui ne veut pas les prendre en charge. L'Etat ne fait pas son boulot", dénonce Yann Manzi.
"On ne quitte pas un pays pour rien", poursuit-il. "Même s'ils ont un récit complètement atroce on leur dit +retourne chez toi mourir+".
Interrogées, les autorités départementales ont réitéré leur volonté de "trouver des solutions pérennes" et rappelé que l’État finançait chaque soir la mise à l’abri de 1.450 personnes en Ille-et-Vilaine.
"On héberge 950 personnes par jour aux frais de la mairie", explique de son côté David Travers, adjoint délégué à la Solidarité à la ville de Rennes. "Ce sont essentiellement des gens qu'on désigne affreusement sous le nom de +ni régularisables, ni expulsables+, un non statut insupportable qui les condamne à errer dans la précarité 5 à 10 ans avant de pouvoir prétendre obtenir une régularisation", ajoute-t-il.