WASHINGTON : Des millions d'Américains qui s'étaient retrouvés au chômage avec la pandémie ont désormais repris le travail, mais les travailleurs noirs et hispaniques peinent eux à se faire embaucher de nouveau, une inégalité qui ronge les Etats-Unis depuis des décennies.
Ces disparités sont alimentées par une discrimination de longue date en matière d'emploi, pointent les experts, mais aussi par des perturbations spécifiques, liées au Covid, empêchant certains chômeurs de trouver un emploi auquel ils peuvent se rendre, ou dans lequel ils peuvent se sentir en sécurité.
Ces questions de "disparités économiques sous-jacentes" ne sont "pas réellement abordées", déplore Kate Bahn, directrice de la politique du marché du travail pour l'ONG Washington Center for Equitable Growth.
Après être monté en flèche à 14,7% en avril 2020 à cause des mesures de confinement destinées à empêcher la propagation du virus, le taux de chômage américain est redescendu, jusqu'à 5,9% en juin.
Mais si ce chiffre est de 5,2% seulement pour les travailleurs blancs, il grimpe à 7,4% pour les travailleurs hispaniques et à 9,2% pour les travailleurs noirs.
Un fossé racial et ethnique que la première économie du monde connaissait déjà bien avant que la pandémie ne frappe, lorsque le chômage était au plus bas en 50 ans.
Le président Joe Biden a promis de s'atteler à ce problème, arguant que les deux plans d'investissements massifs qu'il espère faire passer au Congrès peuvent assurer une reprise économique durable et plus inclusive.
C'est aussi l'objectif de la Banque centrale américaine (Fed), lorsqu'elle indique vouloir laisser les taux directeurs proches de zéro pendant un moment afin de favoriser l'emploi parmi les minorités, ce qui avait pris près d'une décennie après la crise financière mondiale de 2008.
«Gâteau plus gros»
"Tout le monde fait mieux lorsque le gâteau est plus gros, et le gâteau grossit en étant offensifs sur ces sujets", a expliqué à l'AFP William Spriggs, chef économiste de la fédération syndicale AFL-CIO. Le taux de chômage de juillet sera publié vendredi, et pourrait avoir encore reculé, à 5,6%, avec près d'un million d'emplois créés.
"Il y a une inégalité permanente entre les personnes noires et blanches quant à la réembauche", a commenté William Spriggs. La part de femmes noires à chercher du travail est ainsi plus élevée que celle des femmes blanches. Parallèlement, partout dans le pays, des entreprises peinent à trouver des candidats pour certains postes.
"Ces employeurs se plaignent tous, +on ne peut pas trouver de travailleurs, on ne peut pas trouver de travailleurs+. Les femmes noires sont plus disponibles et pourtant ils ne les embauchent pas", a-t-il déploré, "c'est de la discrimination". Pour cet économiste, "tant qu'on ne prendra pas au sérieux la discrimination à l'embauche et au travail, on ne pourra simplement pas avancer".
Transports et écoles
Les difficultés liées à la pandémie persistent, et elles empêchent certains travailleurs d'accepter des emplois, voire même d'en chercher, observe Walter Simmons, président d'Employ Prince George's, une organisation à but non-lucratif installée dans une banlieue principalement noire et hispanique de la capitale fédérale Washington. Ainsi, les transports en commun n'ont pas encore repris leurs horaires et fréquences habituelles, une contrainte pour certains demandeurs d'emploi, tandis que les crèches et garderies ouvertes ont été réduites, ce qui pose problème lorsque les parents doivent travailler.
Et lorsque plusieurs générations vivent sous le même toit, la crainte est grande de contracter le virus au travail et de contaminer ses proches, à plus forte raison avec la flambée du variant Delta, très contagieux, ajoute Walter Simmons. "Ce sont trois domaines pour lesquels personne n'a vraiment de réponse. Ils disent juste +revenez au travail+", a-t-il déploré lors d'une interview à l'AFP.
Les allocations chômage, plus généreuses et versées pour toutes les personnes sans emploi jusqu'au 6 septembre, permettent encore à ces travailleurs de survivre. Mais la moitié des Etats du pays les a d'ores et déjà réduites ou supprimées. Walter Simmons s'inquiète pour la suite, craignant que "ceux qui luttaient déjà avant la pandémie" se trouvent encore plus en difficulté.