Élisabeth Moreno: « Je crois à la détermination pour combattre le déterminisme»

Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, est entrée dans le gouvernement de Jean Castex le 6 juillet 2020. (crédit photo agence REA)
Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, est entrée dans le gouvernement de Jean Castex le 6 juillet 2020. (crédit photo agence REA)
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Publié le Mardi 06 juillet 2021

Élisabeth Moreno: « Je crois à la détermination pour combattre le déterminisme»

  • En tant que femme, noire, issue d’un milieu populaire, les échelons que j’ai pu gravir sont le fruit à la fois de combats que j’ai menés, mais aussi de rencontres, de hasards et des opportunités que la République m’a offertes
  • Les discriminations sont une réalité dans notre pays. Une réalité dont nous pouvons tous être victimes ou témoins au cours de notre vie et face à laquelle nous ne pouvons détourner le regard

PARIS: Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, a été nommée présidente de Hewlett-Packard Afrique en janvier 2019, avant d’entrer dans le gouvernement de Jean Castex le 6 juillet 2020. Sollicitée par Arab News en français, la ministre répond à nos questions.

Vous êtes en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances. Comment votre parcours vous a-t-il préparée à votre ministère?

J’ai l’habitude de dire que ce ministère était fait pour moi. Je suis née en Afrique, plus précisément au Cap-Vert, durant la colonisation portugaise, puis je suis arrivée en France enfant et j’ai grandi dans une cité de l’Essonne, dans une famille modeste. Une famille qui était également très patriarcale et j’ai mis du temps à m’extraire des carcans dans lesquels mes parents voulaient m’enfermer pour conquérir in fine ma liberté. Comme de très nombreuses femmes de par le monde, j’ai donc dû me battre pour briser les chaînes qui entouraient ma condition de fille et de femme.

Par ailleurs, en tant que femme, noire, issue d’un milieu populaire, les échelons que j’ai pu gravir sont le fruit à la fois de combats que j’ai menés, mais aussi de rencontres, de hasards et des opportunités que la République m’a offertes. Autrement dit, les valeurs que mon ministère véhicule et les causes qu’il défend sont celles qui m’habitent depuis toujours et qui se confondent avec mon parcours: le combat pour la condition des femmes et la double quête de liberté et d’égalité qu’il revêt, la promotion de la diversité ainsi qu’en toile de fond la lutte contre les discriminations et le combat pour l’égalité des chances sur tous nos territoires ; en zones rurales, dans nos quartiers prioritaires ainsi que dans les territoires ultramarins. Ce sont autant d’enjeux auxquels j’ai été confrontée, autant d’obstacles que j’ai dû franchir ou de causes pour lesquelles je me suis engagée de longue date.

 

«Nous devons absolument donner plus de chances à ceux qui en ont le moins. Et, en parallèle, lutter contre toutes les formes de discrimination.»

Élisabeth Moreno

Quels sont vos axes de travail et vos grandes priorités d’ici à la fin du quinquennat?

Le président de la République, Emmanuel Macron, a érigé l’égalité entre les femmes et les hommes en Grande cause du quinquennat. Dans ce contexte, je souhaite approfondir l’action conduite depuis 2017. Approfondir l’action conduite en veillant, notamment, à l’exécution rigoureuse de l’ensemble des 46 mesures issues du Grenelle des violences conjugales qui a jeté la lumière sur un sujet, jusqu’ici, trop longtemps resté dans l’ombre.

Aujourd’hui, 100% de ces mesures sont engagées et 32 d’entre elles sont mises en œuvre. Elles s’appuient sur un effort budgétaire sans précédent. Le budget dévolu à mon ministère a ainsi progressé de 40% en 2021; il s’agit d’une hausse historique, signe que le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes constitue une priorité du gouvernement.

Par ailleurs, parce qu’il ne peut subsister, dans notre pays, d’égalité à plusieurs vitesses, l’égalité des chances doit enfin trouver sa traduction concrète et effective. Pour cela, nous devons absolument donner plus de chances à ceux qui en ont le moins. Et, en parallèle, lutter contre toutes les formes de discrimination. En luttant contre les discriminations, nous agissons pour bâtir une France plus égalitaire, où chacun puisse trouver sa place par-delà ses origines, sa couleur de peau, son lieu de résidence ou de naissance, son orientation sexuelle ou son identité de genre. Depuis 2017, le gouvernement a beaucoup agi. Mais du chemin reste à parcourir. C’est le sens du discours et des annonces du président de la République à Clermont-Ferrand le 8 septembre 2020.

L’égalité est donc au cœur de mon ministère. Elle en est l’alpha et l’oméga.

Comment s’articule votre action avec celle du Défenseur des droits?

Le Défenseur des droits est une autorité administrative indépendante et constitue ainsi l’un des piliers de l’architecture de notre État de droit. Ses missions visent à favoriser l’égalité de toutes et tous dans l’accès aux droits et défendre celles et ceux dont les droits ne sont pas respectés. À travers ses équipes juridiques notamment ainsi que son réseau territorial de délégués dans l’Hexagone et en Outre-mer, il est un acteur essentiel dans le combat que je mène contre les discriminations.

Je travaille donc en parfaite confiance avec Claire Hédon et, c’est pourquoi, le gouvernement a confié la plate-forme de lutte contre les discriminations que nous avons lancée le 12 février dernier au Défenseur des droits.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la consultation citoyenne sur les discriminations et quels sont ses objectifs?

Les discriminations sont une réalité dans notre pays. Une réalité dont nous pouvons tous être victimes ou témoins au cours de notre vie et face auxquelles nous ne pouvons détourner le regard. En plus d’être des injustices individuelles qui blessent toujours et qui, parfois, peuvent briser des destins, ces discriminations minent notre cohésion sociale et constituent des entorses à nos valeurs républicaines.

 

«Pour le secteur de l’emploi privé, les discriminations en raison de l’origine sont majoritaires. À l’inverse, dans le domaine de l’emploi public, le handicap est le critère le plus invoqué.»

Élisabeth Moreno

Ignorant les frontières géographiques, culturelles ou sociales, les discriminations se manifestent dans toutes les sphères de notre société – de manière insidieuse ou visible. À l’école, dans l’emploi, dans l’accès au logement, au financement bancaire… Au total, il existe 25 critères de discriminations prohibés par la loi qui concernent par exemple le handicap, le sexe, l’origine, la nationalité, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, les croyances ou encore l’âge et l’engagement syndical.

Dans ce contexte, si notre pays s’est d’ores et déjà doté d’un arsenal juridique solide en la matière, force est de constater que nous devons encore aller plus loin pour enrayer ce fléau. À la suite de l’engagement pris par le président de la République le 4 décembre 2020, le gouvernement a dès lors créé le 12 février dernier une plate-forme de lutte contre les discriminations, confiée au Défenseur des droits, et accessible via le numéro de téléphone 39 28 et la plate-forme www.antidiscriminations.fr.

Avec cette plate-forme et cette ligne d’écoute, toute personne victime ou témoin d’une discrimination, quels qu’en soient le motif et le domaine, peut désormais contacter directement et en toute confidentialité les équipes juridiques du Défenseur des droits. Elle pourra aussi être orientée vers l’association la plus proche de son domicile.

Par ailleurs, deuxième mesure annoncée par Emmanuel Macron, nous avons lancé le 8 avril dernier une consultation citoyenne sur les discriminations qui s’est achevée le 31 mai. Ouverte à tous les citoyens ainsi qu’aux associations, entreprises ou collectivités locales, cette consultation visait à donner la parole à nos concitoyens afin qu’ils puissent évaluer les dispositifs existants et proposer des solutions concrètes pour éradiquer les discriminations.

Il s’agissait d’un exercice totalement inédit sur cet enjeu et il n’y avait aucun sujet tabou. Toutes les situations de discrimination ont été mises sur la table, et ce dans tous les domaines de la vie quotidienne: l’emploi, la sécurité, l’accès aux soins, les transports, le logement… Je me réjouis que cette consultation ait rencontré un réel engouement. Nous allons désormais voir quelles propositions pourront être concrétisées.

La plate-forme antidiscriminations est destinée aux personnes victimes ou témoins de discriminations, quel qu’en soit le motif, origine, handicap, genre… Quels sont les problématiques les plus prégnantes remontées par cette plate-forme?

À ce jour, nous pouvons relever que plus de 10 000 internautes se sont rendus sur le site de la plate-forme, près de 3 000 personnes ont contacté le 39 28, près de 800 tchats ont été passés, 20% des utilisateurs ont ensuite saisi le Défenseur des droits.

Le domaine dans lequel est le plus souvent invoquée une discrimination demeure l’emploi puis vient ensuite le logement. Les problématiques de discrimination dans l’emploi concernent des refus d’embauche mais également des absences d’évolution de carrière, des écarts de rémunérations et des licenciements injustifiés.

Ces statistiques témoignent, je le crois, de l’utilité de cette plate-forme. Une plate-forme qui vient lutter contre une certaine forme de banalisation des discriminations qui nous conduit inconsciemment à accepter l’inacceptable.

 

«Parler d’égalité des choix, cela suppose que tous les jeunes, d’où qu’ils viennent et où qu’ils vivent, ne rencontrent pas de freins à la réalisation de leurs rêves. Or, on naît égaux en droits, mais on ne naît pas égaux en chances.»

Élisabeth Moreno

La nature des discriminations varie-t-elle selon les origines des personnes qui les subissent?

Je rappelle que, malheureusement, nous pouvons tous être un jour exposés aux discriminations ; en tant que victime, témoin voire auteur. C’est la raison pour laquelle nous nous devons de lutter collectivement contre ce fléau.

Les indicateurs d’activité du Défenseur des droits nous enseignent que des critères prohibés de discrimination sont plus invoqués que d’autres dans certains domaines. Par exemple, pour le secteur de l’emploi privé, les discriminations en raison de l’origine sont majoritaires. À l’inverse, dans le domaine de l’emploi public, le handicap est le critère le plus invoqué.

Le confinement a, semble-t-il, augmenté sensiblement les chiffres de la violence faite aux femmes? Comment lutter efficacement contre ce fléau? Vous avez lancé un appel à projets pour favoriser l'entrepreneuriat au féminin. Sous quelle forme se présente-t-il et qu’en attendez-vous concrètement?

La crise sanitaire et a fortiori les confinements ont aggravé le risque d’exposition aux violences pour les femmes. Dans ce contexte, le gouvernement a mis en place des mesures exceptionnelles. Qu’il s’agisse du dispositif «alerte-pharmacie», permettant aux femmes victimes de violences ou à leur entourage de pouvoir se signaler en officines, du dispositif de signalements par SMS via le 114, de la mise en place de points d’accueil et d’accompagnement dans les supermarchés, etc. Ces mesures, qui venaient s’ajouter aux dispositifs existants, ont toutes été pérennisées.

Par ailleurs, d’une manière générale, plusieurs dispositifs ont été fortement renforcés depuis 2017. Ainsi, en 2020, 3 254 ordonnances de protection ont été délivrées, contre 1 388 en 2017. Le déploiement des téléphones, grave danger, s’accélère lui aussi puisque leur nombre a triplé depuis 2017. Un plan d’actions pour renforcer l’utilisation des bracelets antirapprochement, mis à disposition des juridictions depuis septembre dernier, a été engagé par Éric Dupond-Moretti.

De surcroît, afin de mettre à l’abri les femmes victimes de violences, le gouvernement a ouvert 1 000 places d’hébergement dédiées en 2020 et en crée 1 000 supplémentaires en 2021 avec une revalorisation du coût pour permettre un meilleur accompagnement. Le nombre de places d’hébergement dédiées aura ainsi augmenté de 60% depuis 2017. C’est un engagement fort que nous portons avec Emmanuelle Wargon. Enfin, parce que protéger la victime nécessite aussi de prendre en charge les auteurs, 18 centres de prise en charge des auteurs de violences sur tout le territoire ont vu le jour en 2020 dans l’Hexagone et en Outre-mer pour lutter contre la récidive ou prévenir le passage à l’acte. Et 12 supplémentaires seront créés cette année. Aussi, depuis le 28 juin, le 3919, la plate-forme téléphonique d’écoute et d’orientation des victimes de violences, a étendu ses horaires 24h/24 du lundi au vendredi et passera d’ici à fin août à 7j/7. Elle sera également accessible aux personnes sourdes et aphasiques. Il s’agissait d’une attente forte des associations et d’un engagement du Grenelle des violences conjugales que nous concrétisons enfin.

 

«Les inégalités prennent racine lorsque l’on n’a pas accès à l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation, à l’emploi…»

Élisabeth Moreno

Enfin, j’ai lancé le 22 avril dernier un appel à projets afin de valoriser des actions innovantes en matière d’autonomie et d’insertion économiques des femmes. En tant qu’ancienne cheffe d’entreprise, j’ai pu observer combien la mixité des équipes et la diversité des talents sont des facteurs de performance. Un enjeu qui revêt une dimension redoublée dans la triple crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons où les femmes ont été et demeurent en première ligne. À travers cet appel à projets, nous nous engageons collectivement pour l’égalité en y associant les acteurs publics, les partenaires sociaux, les fondations et les associations.

Arab News et l’institut de sondage YouGov ont mené une enquête sur la perception des Français d’origine arabe et de la vie en France. Dans ce document, les personnes interrogées affirment que c’est l’origine ethnique de leur nom qui a eu l’impact négatif le plus important (36%) sur leurs perspectives de carrière (la proportion la plus élevée concerne les 35-44 ans, à 41%). Selon vous, dans le domaine de l’égalité des chances et de la diversité, quels sont les principaux combats qui restent à mener pour les Français d’origine arabe?

L’égalité est au cœur du pacte républicain, elle en est la sève. C’est à la fois un idéal et une promesse. Et c’est l’une des missions essentielles de mon ministère. Néanmoins, comme l’a rappelé le président de la République lors de son allocution pour les 150 ans de la République au Panthéon, elle n’est pas encore «concrète et effective» pour tous les Français. Et c’est aussi ce que révèle votre sondage.

Parler d’égalité des choix, cela suppose que tous les jeunes, d’où qu’ils viennent et où qu’ils vivent, ne rencontrent pas de freins à la réalisation de leurs rêves. Or, on naît égaux en droits, mais on ne naît pas égaux en chances. Le rôle de l’État – et des pouvoirs publics en général – est de créer les conditions de cette réussite, qui peut prendre de multiples formes, pour toutes et tous. Nous devons faire en sorte que tous les jeunes aient conscience du champ des possibles.

Les inégalités prennent racine lorsque l’on n’a pas accès à l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation, à l’emploi… Mais il n’y a pas de fatalité à cela. L’égalité des chances n’est pas un concept talisman, ni un slogan. Elle doit être du concret, du pragmatisme.

C’est, par exemple, l’objectif de la stratégie de lutte contre la pauvreté qui s’attaque aux inégalités dès la petite enfance; du dédoublement des classes en CP-CE1 et en grandes sections de maternelle dans les réseaux d’éducation prioritaire qu’a mis en place Jean-Michel Blanquer. C’est un investissement sans précédent dans la formation professionnelle avec le Plan d’investissement dans les compétences et la réforme de l’apprentissage ou encore le soutien massif à l’emploi des jeunes avec le plan «1 jeune, 1 solution» ou les mesures concrètes de l’Agenda rural porté par Joël Giraud.  Car je tiens à aborder l’égalité des chances sous l’angle de l’équité entre les territoires. Il faut que ces politiques se déploient partout: dans les zones rurales, dans les quartiers urbains défavorisés, dans les Outre-mer…

 

«Lutter contre les discriminations et promouvoir la diversité, c’est au bout du compte réconcilier l’idéal républicain avec la pluralité de notre société contemporaine.»

Élisabeth Moreno

Enfin, je souhaite créer un Index de la diversité dans le monde professionnel. En prenant une photographie du niveau d’inclusion et de diversité d’une organisation publique ou privée, cet outil aidera les dirigeants et les DRH à engager ensuite des mesures correctives pour, au final, que leur organisation soit un meilleur reflet de notre société. Bien entendu, cet Index se fera à droit constant et sera basé sur le volontariat à la fois des entreprises et des organisations publiques ainsi que des salariés. Par ailleurs, il sera sécurisé juridiquement en respectant les conditions d’anonymat et de confidentialité posées par la CNIL.

Vous avez déclaré: «La différence peut être une richesse et elle peut porter loin.» Voulez-vous nous expliquer votre sentiment sur ce sujet?

Je considère que la diversité n’est pas un fardeau mais une richesse, qu’elle n’est pas un danger mais un atout. Et j’ai l’intime conviction que le talent et la compétence transcendent les origines, le sexe, la couleur de peau, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, le lieu de résidence ou les croyances.

Lutter contre les discriminations et promouvoir la diversité, c’est au bout du compte réconcilier l’idéal républicain avec la pluralité de notre société contemporaine. Et je crois à la détermination pour combattre le déterminisme.


« La France doit produire plus pour manger mieux », affirme la ministre de l'Agriculture

Le président français Emmanuel Macron (G) s'adresse à la presse en compagnie de la ministre française de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Annie Genevard  L'édition 2025 du SIA (Salon International de l'Agriculture) Agriculture se tient à Paris du 22 février au 2 mars 2025. (Photo par Thomas Padilla / POOL / AFP)
Le président français Emmanuel Macron (G) s'adresse à la presse en compagnie de la ministre française de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Annie Genevard L'édition 2025 du SIA (Salon International de l'Agriculture) Agriculture se tient à Paris du 22 février au 2 mars 2025. (Photo par Thomas Padilla / POOL / AFP)
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  • la France doit affirmer sa souveraineté agricole comme un enjeu régalien et réarmer sa puissance alimentaire », a-t-elle déclaré, appelant à « sonner la mobilisation générale ».
  • « La France doit produire plus pour manger mieux. Produire plus pour reconquérir l’assiette des Français, produire plus pour importer moins et garantir les standards de production que nous exigeons de nos paysans », a-t-elle ajouté.

PARIS : « La France doit produire plus pour manger mieux », a affirmé dimanche, lors de l'inauguration du stand du ministère au Salon de l'agriculture, la ministre de l'Agriculture Annie Genevard, livrant sa vision de la souveraineté alimentaire.

« Dans ce moment de grand bouleversement de l'ordre international (...), la France doit affirmer sa souveraineté agricole comme un enjeu régalien et réarmer sa puissance alimentaire », a-t-elle déclaré, appelant à « sonner la mobilisation générale ».

« La France doit produire plus pour manger mieux. Produire plus pour reconquérir l’assiette des Français, produire plus pour importer moins et garantir les standards de production que nous exigeons de nos paysans », a-t-elle ajouté, suscitant des applaudissements dans le public, largement composé de représentants du monde agricole (producteurs, interprofessions, syndicats, chambres d'agriculture, etc.).

« Produire plus pour pouvoir investir et ainsi produire mieux. Produire plus pour rester une puissance exportatrice et jouer dans la cour des grands alors que de nouveaux équilibres de la géopolitique agricole se dessinent », a-t-elle poursuivi, au côté de son homologue marocain, Ahmed El Bouari, dont le pays est l'invité d'honneur du Salon.

« Produire plus et tourner le dos aux partisans de la décroissance et du repli sur soi », a ajouté Mme Genevard.

Tout en estimant qu'il est « un non-sens » d'opposer agriculture et environnement alors que les agriculteurs travaillent « avec la nature », elle a déclaré se battre « chaque jour pour qu'on ne bride pas l'alimentation au nom de la planète, alors qu'il n’y a aucun bénéfice objectif à ces entraves administratives ou réglementaires ».

La ministre s'en est ensuite vigoureusement pris aux « idéologues », « les procureurs qui mangent du paysan à tous les repas sans en avoir jamais vu, pour entretenir le fantasme d'une France agricole productiviste ».

« On invoque souvent la dette environnementale que nous pourrions laisser à nos enfants. Mais je ne veux pas non plus leur laisser une dette alimentaire », a-t-elle encore affirmé. 


À Washington, Macron veut faire entendre la voix de l’Europe sur l’Ukraine.

Le président français Emmanuel Macron (C), le président élu des États-Unis Donald Trump (G) et le président ukrainien Volodymyr Zelensky posent avant une réunion au palais présidentiel de l'Élysée à Paris, le 7 décembre 2024. (Photo de Sarah Meyssonnier / POOL / AFP)
Le président français Emmanuel Macron (C), le président élu des États-Unis Donald Trump (G) et le président ukrainien Volodymyr Zelensky posent avant une réunion au palais présidentiel de l'Élysée à Paris, le 7 décembre 2024. (Photo de Sarah Meyssonnier / POOL / AFP)
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  • L’entretien prévu entre le président français Emmanuel Macron et son homologue américain Donald Trump, à Washington ce lundi, est des plus délicats.
  • Les européens s’inquiètent que Washington et Moscou, ne scellent un accord de paix au détriment de Kiev, au regard des concessions faites gratuitement et d’entrée de jeu par l’administration américaine.

PARIS : L’entretien prévu entre le président français Emmanuel Macron et son homologue américain Donald Trump, à Washington ce lundi, est des plus délicats, puisqu’il s’agit de faire entendre la voix de l’Europe et de l’Ukraine, écartées des pourparlers avec la Russie sur le dossier ukrainien.

Le président français a pris soin de se préparer à cette rencontre tout au long des jours précédents, en organisant deux réunions successives avec plus d’une trentaine de dirigeants européens sur le sujet.

Ces rencontres lui ont permis de contourner les divergences et de s’assurer d’une relative unité sur le dossier au sein de l’Europe.

Parallèlement, il a aussi convoqué en urgence à l’Elysée les représentants des forces politiques françaises, pour les mettre au fait des implications au niveau de la France et de l’Europe, de la démarche américaine, sur le dossier ukrainien.

Le chef de l’Etat s’est également adressé aux Français, à travers la presse régionale et les réseaux sociaux, pour évoquer une partie de son plan, en vue de cette rencontre qui coïncide avec le troisième anniversaire de la guerre menée par la Russie contre le territoire ukrainien.

Depuis l’annonce de Trump, de pourparlers avec la Russie sur ce dossier et la rencontre qui a eu lieu récemment à Riad à ce sujet, entre de hauts responsables américains et russes, la France et l’Europe s’efforcent de faire entendre leur voix sur ce chapitre.

Les européens s’inquiètent que Washington et Moscou, ne scellent un accord de paix au détriment de Kiev, au regard des concessions faites gratuitement et d’entrée de jeu par l’administration américaine.

Cette dernière, doute de l’objectif de l’Ukraine de rejoindre l’alliance Atlantique, et n’accorde pas d’intérêts à la restitution par les Russes des régions ukrainiennes qu’ils ont occupé depuis le début de la guerre.

Par ailleurs, l’administration américaine ne se fait aucun souci au niveau des défis sécuritaires qui peuvent guetter le continent européen, de la part du président russe Vladimir Poutine.

Partant de là, la France tout comme l’Europe s’opposent à tout règlement auquel ils ne seraient pas associés ainsi que les Ukrainiens, et Macron compte faire entendre cela à Trump, déployant à cette fin un atout principal.

Dans les propos tenus lors de son échange avec les Français sur les réseaux sociaux, Macron a affirmé qu’il dira à Trump « Tu ne peux pas être faible face au président Poutine. Ce n’est pas toi, pas ta marque de fabrique, ce n’est pas ton intérêt ».

Une manière de faire plier Trump en le ramenant à sa propre vérité, un pari à tenter sans garantie de réussite, tant les réactions et positions du président américains semblent échapper à toute logique.

D’où le sentiment que l’entretien de Macron avec son homologue américain relève d’un saut dans le vide, d’autant plus que ce dernier s’affranchi de toute sorte de limites ou garde fou.

Il s’est montré prêt à sacrifier l’Ukraine au profit de la Russie et à laisser à l’abandon ses alliées européens, et il s’est lancé dans une campagne de critiques personnelles et gratuites à l’encontre du président ukrainien Vlodomir Zelenski le traitant de « dictateur non élu ».

En dépit de cela, le Palais de l’Elysée préfère tempérer et mettre l’accent sur ce qui rapproche et uni, en soulignant à la veille de la visite présidentielle que « la France partage l’objectif du président Trump de mettre fin à la guerre en Ukraine ».

Le président français, toujours selon l’Elysée « Va à Washington dans l’esprit de soutenir cet objectif », et qu’il y va avec « des propositions d’action » et « le souci de travailler en soutien de l’Ukraine, et au renforcement de la sécurité en Europe ». 


La question se pose : comment le blé français a-t-il perdu le chemin de l'Algérie ?

Champ de blé (Photo iStock)
Champ de blé (Photo iStock)
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  • Longtemps premier acheteur du blé français, l'Algérie boude désormais les chargements de la céréale du pain exportée par l'ancienne puissance coloniale
  • « l'origine du changement d'approvisionnement de la part de l'Algérie n'est pas politique », estime Edward de Saint-Denis, de la maison de courtage Plantureux & Associés.

PARIS : Longtemps premier acheteur du blé français, l'Algérie boude désormais les chargements de la céréale du pain exportée par l'ancienne puissance coloniale, un désamour antérieur à la récente crise diplomatique entre Paris et Alger, expliquent des acteurs du marché.

Il fut un temps où les courtiers racontaient que « les meuniers algériens écrasaient plus de blé français que les meuniers français », relate Arthur Portier, analyste du marché céréalier chez Argus Media France.

« La France a exporté jusqu'à 5 millions de tonnes de blé tendre par campagne à destination de l'Algérie, soit la moitié de ses exportations hors Union européenne », explique-t-il.

Des échanges importants, nourris par la proximité géographique des deux pays, leurs liens historiques et l'augmentation des besoins alimentaires d'une population algérienne ayant quadruplé depuis l'indépendance.

La France, premier producteur et exportateur européen de blé tendre, y trouvait un débouché naturel. « Il y avait un vieil accord tacite : nous achetions du gaz algérien et l'Algérie du blé français. Ça a bien marché pendant 50 ans », affirme un opérateur actif sur le marché européen.

En 2018, les exportations de blé français vers l'Algérie représentaient plus de 5,4 millions de tonnes ; en 2023, ce chiffre était tombé à moins d'un million de tonnes, selon les données des douanes françaises consultées par l'AFP.

Entre juillet et décembre 2024, seul un bateau transportant 31 500 tonnes de blé tendre a pris la direction de l'Algérie, selon la même source.

Ce tarissement des échanges intervient en pleine crise diplomatique : les tensions entre Paris et Alger se sont brutalement aggravées après la décision, cet été, du président français Emmanuel Macron de reconnaître la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental — alors qu'Alger soutient les indépendantistes sahraouis du Front Polisario depuis plus d'un demi-siècle.

En octobre dernier, les acteurs français du marché ont même discrètement exprimé leur étonnement de ne pas avoir reçu d'appel d'offres de l'office public algérien des céréales (OAIC), pourtant envoyé à tous les autres acteurs habituels.

Le ministère algérien de l'Agriculture avait alors démenti l'exclusion volontaire d'un de ses « partenaires européens habituels » et évoqué une « consultation restreinte (...) régie par des critères techniques spécifiques », dans un communiqué consulté par l'AFP.

- « Grains punaisés » -

Si, selon toute personne interrogée, la crise actuelle n'arrange pas les choses, « l'origine du changement d'approvisionnement de la part de l'Algérie n'est pas politique », estime Edward de Saint-Denis, de la maison de courtage Plantureux & Associés.

« À un moment donné, la France n'a pas pu servir le marché algérien, qui s'est tourné vers la mer Noire. Les meuniers ont apprécié la qualité des grains russes », explique-t-il.

C'est en effet en 2016, année pluvieuse où la production de blé a chuté de 20 % en France, que l'Algérie a importé pour la première fois de blé russe, selon un acteur européen du marché.

Cette année-là, la Russie, qui a massivement investi dans sa production céréalière, est devenue le premier exportateur mondial de blé. En mars 2024, les céréaliers français réunis à Paris s'inquiètent de voir la Russie « envahir le terrain de jeu des acheteurs de céréales dans le monde et principalement en Afrique », selon l'expression de Jean-François Loiseau, président de l'interprofession.

Les importations algériennes de grains russes, modestes à l'origine, augmentent considérablement à partir de 2022-2023, essentiellement au détriment des blés français, mais aussi allemands ou argentins.

Ce gonflement des achats à la Russie est rendu possible par un changement majeur : l'OAIC a modifié son cahier des charges en 2021, augmentant son taux acceptable de grains punaisés, jusqu'à tolérer 0,5 % de grains endommagés par des insectes contre 0,2 % auparavant, afin de correspondre aux qualités du blé de la mer Noire, explique Edward de Saint-Denis.

L'Algérie s'est donc mise à acheter régulièrement du blé russe, moins cher que le blé français et dont la caractéristique est aussi un taux de protéine plus élevé, ce qui lui confère une qualité de panification appréciée par les meuniers algériens.

Peu dommageable en 2024, car la France a peu à vendre après une récolte de blé médiocre, l'absence d'Algérie sur le marché français risque toutefois de devenir problématique, car cette absence, que les opérateurs espèrent « temporaire », n'est pas compensée par l'augmentation des importations du Maroc ni par la Chine, « actuellement aux abonnés absents », relève Arthur Portier.