ANKARA : En 2001, les deux hommes ont fondé le Parti de la justice et du développement (AKP). Entre 2007 et 2014, ils ont dirigé le pays : Gül comme président de la république et Erdogan comme Premier ministre. Cependant, ces dernières années, Gül est devenu un fervent critique de son allié d’hier.
Lors d’une entrevue le 17 août, Kemal Kilicdaroglu, dirigeant du Parti républicain du peuple (CHP), a confié que le gouvernement avait « vraiment peur » de la candidature de Gül.
Toutefois, Gül fait lui aussi l’objet des critiques de certains groups laïcs du pays, pour avoir gardé le silence ces dernières années alors que le pouvoir devenait centralisé, sans que soit mis en place un système de « freins et contrepoids ».
Gül est aussi connu pour être proche du Parti de la démocratie et du progrès (Deva), fondé à son tour par l’ancienne star de l’économie Ali Babacan. « Ceux qui nous accusent de nous rencontrer chaque semaine sont manipulés et souffrent de troubles psychologiques », a déclaré ce dernier.
Gül, quant à lui, ne fait pas de commentaires sur son éventuel retour lors des élections générales. Pourtant, nombreux sont ceux qui estiment que la Turquie mérite un meilleur adversaire.
Karol Wasilewski, analyste à l’Institut polonais des affaires Internationales basé à Varsovie, voit dans l’éventuelle investiture de Gül par le CHP le reflet des changements que le parti a subis sous l’administration Kilicdaroglu. Ce dernier était convaincu que le CHP devrait être plus ouvert aux valeurs conservatrices, pour mieux concurrencer l’AKP. Il estimait toutefois que la succession d’Erdogan par Gül était une mauvaise idée.
« Dans un premier temps, ils ont intérêt à nommer un candidat accepté par certains électeurs du parti et capable de concurrencer Erdogan. Le maire d’Ankara, Mansur Yavas, ainsi que le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, tous deux de l’opposition, semblent être de meilleurs concurrents, si l’on tient compte de la réputation de politicien incompétent de Gül, incapable de faire face à Erdogan », a confié Wasilewski à Arab News.
« Gül est loin d’être un politicien agressif, capable de gagner face à Erdogan, contrairement au jeune et vigoureux Imamoglu par exemple. »
Pour Wasilewski, désigner Gül découragerait plusieurs sympathisants du CHP de voter, et ce scénario augmenterait les chances d’Erdogan de remporter les élections.
« Ces derniers temps, l’AKP a été l’objet d’une vague de critiques, accusé de ne pas comprendre la nouvelle génération, dont le vote sera sans doute décisif au moment des élections générales de 2023. En nommant Gül, le CHP prouve qu’il ignore lui aussi comment s’adresser aux jeunes électeurs. Je ne crois pas qu’Abdallah Gül puisse les attirer », a-t-il enchaîné.
Certains ont décrit Gül comme le candidat du compromis, qui vaincrait Erdogan en attirant un certain nombre d’électeurs de l’AKP. Cependant, Berk Esen, analyste politique à l’université Bilkent d’Ankara, estime il y a peu de chance que Gül trouve vraiment un écho favorable auprès de la base de l’AKP. Ce discours a été soutenu pendant des années, par les médias progouvernementaux.
« Les électeurs de l’opposition ne lui font pas confiance non plus. Pour eux il est le complice du gouvernement dans plusieurs lois controversées et il est resté trop silencieux depuis la fin de son propre mandat en 2014 », a-t-il confié à Arab News.
Le paysage politique de la Turquie a radicalement changé après la victoire de l’opposition aux élections locales de l’année dernière. Esen remarque les candidats sont plus jeunes, compétents et crédibles dans les rangs de l’opposition. Il est donc peu probable que Gül motive les électeurs de l’opposition ou qu’il remporte des votes de la base de l’AKP.
« Le débat autour des noms n’est pas productif, mais il poussera l’opposition à envisager le processus de nomination des candidats. Il est possible que la direction du CHP se trouve obligée d’aller vers des primaires ouvertes pour choisir son candidat », a-t-il ajouté.
Dimitar Bechev, chercheur à l’Atlantic Council, voit dans la nomination de Gül un choix intelligent, pourvu que l’opposition se rallie pour le soutenir. « De nombreux laïcs lui reprochent d’avoir permis à Erdogan de gagner, a-t-il expliqué à Arab News. Et il n’a pas fait face à Erdogan durant les manifestations contre le gouvernement au parc Gezi en 2013. »
En outre, Gül favorise le dialogue avec les contestataires. Pour Bechev, si les votes de l’opposition se consolidaient pour le soutenir et que les électeurs de l’AKP s’unissaient, le ballotage serait possible.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com