Les choix de l’Europe pour la relance post-coronavirus: la prise de responsabilité ou la ruine

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Publié le Mercredi 29 juillet 2020

Les choix de l’Europe pour la relance post-coronavirus: la prise de responsabilité ou la ruine

Les choix de l’Europe pour la relance post-coronavirus: la prise de responsabilité ou la ruine
  • Il est tout à fait raisonnable de s’attendre à ce que les futurs historiens se souviennent de 2020 comme étant le début d’une ère de changements transformateurs
  • Nous pouvons soit assumer nos responsabilité et trouver le courage de réaliser la « grande transformation » qui s’impose, soit attendre, avec les yeux grands ouverts, les Quatre cavaliers de l’apocalypse

Y aura-t-il une « deuxième vague » de coronavirus  qui sera ensuite suivie de plusieurs autres? Cette question terrifiante taraude actuellement le monde entier, mais plus particulièrement les responsables politiques et les chefs d’Etat. Personne ne connait encore la réponse. Aucune stratégie ne prévoyait un tel scénario, dans lequel une économie mondiale high-tech interconnectée par des chaînes d’approvisionnement serait terrassée par un pathogène microscopique.

Evaluer uniquement à court terme cet arrêt brutal de la planète constituerait une erreur. Certes, la priorité immédiate est de lutter contre la covid-19, mais la pandémie a eu des conséquences économiques et sociales désastreuses pour des milliards de personnes et cela semble accélérer un changement dans la gouvernance mondiale, au niveau politique aussi bien qu’économique.

La crise aura également des répercussions qui dureront bien au-delà des mois et des années à venir. Il est tout à fait raisonnable de s’attendre à ce que les futurs historiens se souviennent de 2020 comme étant le début d’une ère de changements transformateurs. Ceci pourrait être le moment historique où, après avoir pris conscience des dégâts causés par l’organisation de notre système économique et de notre surexploitation de la nature, nous pourrions décider de nous engager pour une économie durable.

Si c’était le cas, le coronavirus aura servi de signal d’alarme salutaire. Mais sans changement de la dynamique mondiale, la pandémie de 2020 marquera le début d’une catastrophe humaine sans précédent.

Une chose est d’ores et déjà sûre: nous devons remettre en cause notre confiance naïve dans le progrès humain. Pendant trop longtemps, on a simplement supposé que les conséquences négatives d’une croissance économique effrénée seraient compensées par les fruits de cette croissance. Malgré les avertissements des scientifiques et les changements climatiques quotidiens, nous nous sommes convaincus que nous avions le droit de dompter la nature. Et malgré tous nos fantasmes sur la colonisation de l'espace, la réalité est que notre pouvoir ne s'étend que jusqu'à une certaine limite - généralement définie par l'horizon des intérêts humains. Au-delà, se trouve tout ce que nous ignorons, depuis toujours.

Agir collectivement pour sauver la planète

La leçon immédiate que nous avons tirée de la crise de la Covid-19 est que la civilisation humaine a urgemment besoin d’assumer ses responsabilités. La plupart d’entre nous seraient déjà parvenus à cette constatation de manière subjective. La question est de savoir si nous allons agir collectivement en lançant enfin les changements dont nous avons besoin.

Il y a 7,7 milliards de personnes sur la planète et ce chiffre devrait atteindre 9,7 millions d’ici 2050. Notre besoin insatiable de consommation de ressources matérielles ne fera qu’augmenter, ce qui signifie que l’exploitation de la planète continuera de dépasser les capacités régénératives des systèmes naturels. Cette réalité a donné naissance à la théorie géologique appelée l’Anthropocène: pour le meilleur et pour le pire, l’humanité a atteint le point où nos propres actions détermineront l’avenir de presque toutes les autres espèces de la planète.

Un tel pouvoir incombe des responsabilités énormes. Jusqu’au début de la « révolution industrielle », l’activité humaine avait relativement peu d’impact sur la planète elle-même. De nos jours, elle a un effet global et complètement disproportionné. La croissance démographique et la consommation de masse, générées par des améliorations exponentielles de la technologie, ont conduit à un déclin dramatique des ressources naturelles qui semblaient autrefois inépuisables. En outre, les émissions de gaz à effet de serre causées par cette production frénétique ont mené au réchauffement de l’atmosphère à une vitesse vertigineuse.

Nous pouvons soit assumer nos responsabilité et trouver le courage  de réaliser la « grande transformation » qui s’impose, soit attendre, avec les yeux grands ouverts, les Quatre cavaliers de l’apocalypse. Avec la Covid-19, le premier cavalier est déjà apparu.

Face à un tel choix, les questions que l'on pourrait se poser sont nombreuses. Dans quel but déployer l'intelligence artificielle et les ordinateurs quantiques ? Beaucoup seront tentés de développer des instruments de guerre plus sophistiqués ou encore des plateformes de consommation plus raffinées. Mais ce dont nous avons vraiment besoin, c'est une meilleure analyse des systèmes pour améliorer la santé publique, préserver l'environnement et maintenir un climat habitable sur le long terme.

L’Europe a un rôle à jouer

À l’avenir, nourrir l’humanité ne sera pas possible sans la protection de faune et de la flore dans le monde. Vu l’extinction de masse sans précédent des espèces animales et végétales, il est urgent de se remettre en cause et de percevoir cette réalité qui est déjà devant nos yeux. Bien que la pandémie ait appris à la majorité d’entre nous à tenir compte des avis scientifiques dans certains contextes, nous pourrions rester dans le déni lorsqu’il s’agit d’enjeux plus dangereux - et peut-être moins visibles par tous -  tels que le changement climatique.

Inévitablement, les économies les plus développées du monde seront chargées de mener la grande transformation puisqu’elles possèdent le savoir-faire et les ressources financières nécessaires pour le faire. Parmi elles, les démocraties occidentales devront jouer un rôle essentiel et faire valoir les idéaux de liberté qu’elles prétendent représenter.

La question de liberté et celle la responsabilité sont étroitement liées: ceux qui désirent la liberté se dérobent à leurs responsabilités à leurs propres risques et périls. La pandémie a permis d’ouvrir les yeux à ce sujet. Afin d’éviter le confinement et les autres restrictions, nous devons d’abord les respecter.

Il existe une autre conséquence de la crise qui ne peut être ignorée. Les États-Unis et la Chine sont actuellement engagés dans une lutte coriace pour prendre la tête du leadership mondial. Mais à quoi ressemblera le monde de demain ? Le pouvoir sera-t-il principalement défini par la supériorité militaire comme par le passé ? Ou bien sera-t-il lié à d’autres facteurs totalement nouveaux et fondamentalement différents ? Une conception traditionnelle du pouvoir assurera t-elle toujours la cohésion du monde ?

L’Europe a une occasion unique d’agir, à condition de ne pas miser sur la concurrence des superpuissances. Au lieu de cela, elle doit s’armer de courage et donner l'exemple d’une cohérence et d’une responsabilité collectives. L’humanité en a besoin de toute urgence.

Droits d’auteur: Project Syndicate, 2020.

Joschka Fischer est l’ancien ministre allemand des Affaires étrangères et vice-chancelier de 1998 à 2005, et a été leader du parti Les Verts pendant près de 20 ans.

Twitter: @FischerJoschka

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.