Les principales leçons à tirer des élections américaines

Donald Trump salue Joe Biden et Barack Obama après avoir prêté serment en tant que 45e président des États-Unis, à Washington, D.C., le 20 janvier 2017. (Reuters).
Donald Trump salue Joe Biden et Barack Obama après avoir prêté serment en tant que 45e président des États-Unis, à Washington, D.C., le 20 janvier 2017. (Reuters).
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Publié le Jeudi 12 novembre 2020

Les principales leçons à tirer des élections américaines

 Les principales leçons à tirer des élections américaines
  • Les trois missions les plus urgentes de Joe Biden sont les suivantes : rétablir un minimum de bon sens dans la vie politique, élaborer une stratégie de riposte à la pandémie de Covid-19 et remédier aux divisions de la sociétés américaine
  • Le soutien massif dont bénéficie Donald Trump est très préoccupant et nécessite la mise en place d'un dialogue national

Après tout, les élections américaines ne nous ont pas déçus. Elles menaçaient d'être moches, sales et frénétiques avec le moins de courtoisie possible et, dans le meilleur des cas, la vérité n’y serait qu'une option. Elles ont bien tenu leurs promesses.

Donald Trump a perdu et a ainsi laissé Joe Biden, qui a gardé son calme tout au long de la campagne, ramasser les morceaux de ce que sont devenus les États-Unis. Il incombe à présent à M. Biden de rassembler la nation ; un processus qui s'annonce long. En effet, l'unité et la guérison du peuple américain ont été au cœur de son premier discours après la victoire. C'est probablement la tâche la plus ardue qu'un dirigeant ait eu à affronter en temps de paix depuis bien longtemps.

Dans la mesure où M. Biden ne remplira probablement qu'un seul mandat, ses trois missions les plus urgentes sont les suivantes : rétablir un minimum de bon sens dans la vie politique à Washington et à travers le pays, élaborer une stratégie de riposte à la pandémie de coronavirus (Covid-19) et à ses effets, et remédier aux divisions et aux plaies de la société américaine.

Le président Biden ainsi que la vice-présidente Harris devront composer avec l'héritage toxique laissé par ces quatre dernières années, avec une grande délicatesse mais aussi avec un vif sentiment de priorité.

Il incombe en outre aux démocrates de tirer les bonnes leçons des résultats des élections. En effet, ils se sont consolés il y a quatre ans en considérant que la victoire de Trump était un accident politique. Pourtant, les résultats enregistrés la semaine dernière ont bien montré que cette victoire était le symptôme de tendances plus profondes et plus durables dans la société américaine. Ce sont des tendances que les progressistes libéraux ne peuvent pas et ne veulent peut-être pas, comprendre ou intégrer.
Nous ne pouvons que présumer que sans la Covid-19 et ses effets ravageurs sur la santé et sur l'économie du pays, M. Trump aurait remporté un second mandat. Malgré la performance lamentable de son administration dans la gestion de la pandémie, qui a déjà causé la mort de plus de 235 000 Américains, et malgré le nombre de cas d'infections quotidiennes qui ont atteint la semaine dernière le chiffre record de plus de 121 000, M. Trump a continué de prétendre à tort que les États-Unis vaincraient le virus. Il a néanmoins été soutenu par plus de 70 millions d'électeurs qui voulaient qu'il les dirige durant quatre ans encore.

La question se pose : les diriger vers quoi et vers où ? Dans la même perspective, la performance des démocrates lors des élections du Congrès n'a pas été appuyée par l'électorat. M. Trump risque d'être bientôt oublié ; néanmoins, le soutien massif dont il bénéficie est très préoccupant et nécessite la mise en place d'un dialogue national.

À titre d'exemple, les tensions entre les races sont plus anciennes que les États-Unis eux-mêmes. Cependant, en dépit de tous les progrès réalisés, notamment depuis la création du Mouvement des droits civils dans les années 1960, le racisme est bien enraciné dans plusieurs secteurs de la société américaine. Par ailleurs, la crainte que les Afro-Américains ne deviennent véritablement égaux dans la société ne fait que croître, en particulier chez les hommes blancs de la classe ouvrière. Ils ont trouvé en Trump une personne qui les comprenait et défendait leur cause.

Un simple regard sur la carte du collège électoral suffit pour voir le fossé politique qui existe entre le bleu des démocrates et le rouge des républicains au milieu de l'Amérique rurale. Oui, M. Biden a fini par remporter confortablement la victoire. Les démocrates ne doivent toutefois pas oublier qui ils affrontaient et dans quelles circonstances inhabituelles ces élections se sont déroulées. C'est la raison pour laquelle le taux de participation a été le plus élevé depuis que William McKinley a remporté les élections de 1900.

Les stratèges doivent se demander pourquoi, dans ces conditions favorables, la « vague bleue » ne s'est pas concrétisée et pourquoi la majorité démocrate au Sénat est restée insaisissable. L'administration Biden se trouve engagée dans une lutte pénible pour réparer une grande partie des dégâts causés par la politique intérieure et étrangère de l'administration en place.

Il est inquiétant pour les démocrates mais aussi pour les républicains que ces derniers n'aient pu présenter un candidat qui puisse briser le système au lieu de le réparer et de l'améliorer. Les États-Unis, ainsi que de nombreuses régions du monde, entrent dans une période très éprouvante et incertaine dans leur histoire et doivent relever des défis de taille.

Sans la Covid-19 et ses effets ravageurs sur la santé et sur l'économie du pays, Donald Trump aurait sans doute remporté un second mandat.

Les défis sont nombreux : contenir et vaincre la Covid-19 et composer avec ses conséquences sociales et économiques dévastatrices, guérir les divisions raciales, le changement climatique, prévenir la prolifération du nucléaire en Iran et en Corée du Nord, améliorer les relations avec la Chine… L'Amérique ne peut réussir à relever ces défis sans rétablir la bipartition quand il le faut et traiter les désaccords de manière civile et constructive au Capitole Hill et à travers le pays.

Pour les démocrates comme pour les républicains, les prochaines années doivent être une période de réflexion, soutenue par une baisse de la rhétorique. Il incombe aux deux principaux partis politiques de tendre la main aux dizaines de millions de personnes qui ont été abandonnées, privées de leurs droits et qui sont préoccupées par leur gagne-pain et leur bien-être. Cette démarche doit se faire sans exploiter les craintes et sans se livrer à un populisme bon marché, et sans adopter une approche arrogante et condescendante.

Grâce à son expérience politique approfondie, à ses qualités relationnelles et à son caractère humanitaire, M. Biden pourrait être la personne idéale pour réunir la nation et mener le processus de redressement, tout en faisant accepter les valeurs de son parti à ceux qui voient dans le parti progressiste un soutien plutôt qu'une menace.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent's University à Londres, où il dirige le Programme des Relations Internationales et des Sciences Sociales. Il est également chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House. Il publie régulièrement des articles dans les médias internationaux écrits et électroniques.

Twitter : @YMekelberg

NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com