PARIS: Oublier le bruit du verrou devant un micro, y trouver peut-être une clé pour l'après-sortie: le projet "Shtar Academy" permet à des détenus d'enregistrer un album avec des rappeurs connus venus poser leur voix en prison.
"Shtar", c'est "prison" en argot. Et c'est maintenant "Shtar Academy (Saison 2)", deuxième disque du genre après un premier opus sorti en 2014.
Ils sont quatre détenus de la prison de Fresnes (région parisienne) -- Ryan, Perkiz, Blur et Nono -- à avoir été sélectionnés pour partager couplets et micros avec des stars du rap comme Sofiane (dit Fianso), Rim'K, S.Pri Noir, Leto ou encore Heuss L'Enfoiré.
"Shtar Academy (saison 2)" n'a rien de bancal et se présente comme un solide disque de rap. Car comme le dit Fianso dans "Cellule de rimes" -- série-documentaire produite par France Télévisions retraçant le projet sur la durée --, certains des détenus retenus ont "largement le niveau" des pros devant le micro.
"Je suis un producteur, je veux faire un bon album. Il y avait plus de mecs au départ que les quatre à l'arrivée parmi les détenus. Ceux qui avaient moins de talent, ce n'était pas la peine de les +afficher+ (les jeter en pâture)", détaille pour l'AFP Mouloud Mansouri, tête pensante du projet.
«Déclic»
"On n'a pas commencé à enregistrer les titres tant que les mecs (détenus) n'étaient pas prêts, on les a préparés", poursuit le président de l'association Fu-Jo (organisation d'évènements musicaux au sein d'établissements pénitentiaires), lui-même ancien détenu pour une longue peine.
"On ne voulait pas les présenter à des rappeurs qui vendent des centaines de milliers d'albums et que (les détenus) soient ridicules à côté, et on ne voulait pas que des rappeurs connus se sentent floués en prêtant leur image à un projet qui n'aurait pas tenu la route", développe Mouloud Mansouri.
L'enregistrement du volume 2 de "Shtar Academy" a été épique. "Là, c'était compliqué, à cause de la pandémie: le confinement, en prison, ça dure plus longtemps; pour nous, les responsables, ça a pris deux ans et pour eux (les détenus), une grosse année, dont six mois de préparation avant les sessions".
Dans une scène marquante de "Cellule de rimes", il y a "ce déclic", comme le décrit le producteur, quand Ryan, le détenu, rencontre S.Pri Noir, le rappeur. Tous deux se sont connus plus jeunes.
"Ryan se rend compte qu'ils traînaient dans le même studio avant, que S.Pri Noir a réussi dans le rap, qu'il est égérie de grande marque de mode, qu'il y a peut-être un vrai truc à faire dans la musique", décortique Mouloud Mansouri.
«Temps qui ne passe plus»
"Ryan (sorti depuis) est en studio, on s'appelle tous les jours", embraye le producteur. "On ne les abandonne pas une fois le disque sorti. Je voudrais faire des concerts avec la +Shtar Ac'+, on attend que Perkiz sorte en aménagement de peine, pour faire des premières parties d'artistes, des concerts et, si certains veulent travailler en solo, je peux leur donner des coups de main comme avec Ryan".
"Shtar Academy (Saison 2)" évite le piège de la glorification de la prison, prisée par certains imitateurs du "gangsta rap" américain. Le premier morceau, "Imagine", dresse un tableau clinique des conditions de détention. "La prison n'a rien de mignon ou de cool, c'est froid, crade, dur. C'est un temps qui ne passe plus, des familles qui souffrent à l'extérieur, une femme qui t'attend ou pas", énumère Mouloud Mansouri.
Lui a toujours plein de projets en tête. Comme des concerts derrière les barreaux avec des stars de la variété cette fois -- il rêve de Clara Luciani -- ou monter un "atelier façon +Top Chef+ en prison, avec Cyril Lignac ou Philippe Etchebest, ce serait génial".