Le militantisme est-il le dernier recours des opprimés?

Grâce à leur coopération, les forces de sécurité israéliennes et palestiniennes ont réussi à empêcher de nombreuses attaques terroristes (Photo fournie).
Grâce à leur coopération, les forces de sécurité israéliennes et palestiniennes ont réussi à empêcher de nombreuses attaques terroristes (Photo fournie).
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Publié le Lundi 19 septembre 2022

Le militantisme est-il le dernier recours des opprimés?

Le militantisme est-il le dernier recours des opprimés?
  • Il y a une sorte de naïveté à attendre que l'Autorité palestinienne mette fin au militantisme contre Israël en l'absence de tout horizon politique, et alors que tant de Palestiniens sont tués par les forces de sécurité israéliennes chaque mois
  • Si l'on n'insuffle pas un nouveau souffle à une initiative politique qui permettrait d'abord d'améliorer la vie quotidienne des Palestiniens la probabilité de la violence devient une réalité inéluctable

Ronen Bar, qui dirige le Shin Bet, le service de sécurité intérieure d'Israël, est considéré comme un fonctionnaire pondéré et peu enclin à l'hyperbole. Son avertissement concernant la détérioration de la situation en Cisjordanie doit donc être pris au sérieux.

Certes, imputer la recrudescence actuelle des attaques de militants palestiniens contre des cibles israéliennes à l'affaiblissement de l'Autorité palestinienne et à la perte d'influence du président palestinien Mahmoud Abbas n'est pas sans fondement. Or, peut-être parce qu'il cherche à ne pas s'aventurer sur le terrain miné de la politique, ou parce qu'il souffre du même manque de réalité dont souffrent trop d'Israéliens, en particulier ceux qui ont du pouvoir, sa description de la situation ne donne qu'un seul côté de l'histoire.

Il ne tient pas compte de la part d'Israël dans le désespoir des Palestiniens et la perte de légitimité de l'Autorité palestinienne, ni du fait que le désir de sécurité n'est pas unilatéral et ne devrait pas être traité comme un bien public dont les Israéliens jouissent exclusivement, alors que les Palestiniens vivent dans l'insécurité.

Il y a une sorte de naïveté ou de pure chutzpah israélienne à attendre – à exiger, même – que l'Autorité palestinienne mette fin au militantisme contre Israël en l'absence de tout horizon politique, et alors que tant de Palestiniens sont tués par les forces de sécurité israéliennes chaque mois. La question ne concerne pas Ronen Bar – il n'a pas créé la situation, même s'il joue un rôle central dans sa perpétuation. En fin de compte, chacun de ses prédécesseurs savait que tout ce qu'il pouvait faire pendant son mandat était de poser un pansement sur une plaie qui saignait abondamment. En effet, même cela est inexact; ils ont peut-être sauvé la vie de nombreux Israéliens, mais au prix fort pour les Palestiniens, ce qui est immoral et compromet à long terme les chances de coexistence pacifique.

Grâce à leur coopération, les forces de sécurité israéliennes et palestiniennes ont réussi à empêcher de nombreuses attaques terroristes, mais la fenêtre pour des solutions politiques est maintenant pratiquement fermée, et l'occupation est bien enracinée, alimentant le ressentiment des Palestiniens à l'égard d'Israël et de l'Autorité palestinienne. Cette situation contribue largement à l'escalade actuelle de la violence.

Israël ne devrait pas s'étonner que la coopération en matière de sécurité s'effectue avec de plus en plus de réticence et soit considérée par la plupart des Palestiniens comme une simple collaboration avec les forces d'occupation. Une telle coopération répondait à une logique propre à l'époque prometteuse d'Oslo, en tant que mesure de confiance visant à contenir ceux qui auraient recours à la violence pour s'opposer au processus de paix naissant, fondé sur une solution à deux États qui aurait dû mettre fin depuis longtemps à l'occupation, assurer la sécurité de tous entre le Jourdain et la Méditerranée et offrir une solution juste et équitable à la question des réfugiés palestiniens.

Tant que l'occupation oppressive se prolonge, s'attendre à ce qu'aucun Palestinien ne recoure au militantisme est une vision à la limite du délire.

Yossi Mekelberg

Trente ans plus tard, rien ne reste de ce rêve. Les Israéliens, grâce à des décennies de coopération sécuritaire avec l'Autorité palestinienne, ont bénéficié d'une sécurité accrue. Or, rien que cette année, 81 Palestiniens, dont 15 mineurs, ont été tués à ce jour en Cisjordanie dans des incidents impliquant les forces de sécurité israéliennes, sans compter les 49 morts à Gaza. Cela a conduit Washington, qui ne réprimande pas souvent Israël, et surtout pas en public, à faire savoir d'emblée qu'il fait pression sur Israël pour qu'il revoie de près sa politique de tir ouvert et prenne des mesures pour atténuer le risque de blesser des civils.

L'évidence est là – au sens propre comme au sens figuré – depuis très longtemps. La combinaison de la misère quotidienne vécue sous l'occupation, d'une Autorité palestinienne dysfonctionnelle et pratiquement en suspens jusqu'à ce que l'inévitable question de la succession soit résolue, et de l'absence d'une solution politique, ne peut que favoriser la montée du militantisme, même si ces actions ne sont le fait que d'une infime minorité. Ce conflit a entraîné trop de pertes humaines et de souffrances, et aurait dû et pu être résolu il y a longtemps. Aucune des parties n'est exempte de reproches, mais tant que l'occupation oppressive se prolonge, que la violence des colons augmente et que l'expansion des colonies se poursuit sans relâche, s'attendre à ce qu'aucun Palestinien ne recoure au militantisme est une vision à la limite du délire.

Cette situation tragique constitue exactement le terreau sur lequel prospèrent le militantisme et le terrorisme. De plus, comme le montrent les enquêtes menées auprès des Palestiniens, une telle réponse bénéficie de plus en plus du soutien de l'opinion publique, car les gens espèrent voir quelqu'un sortir de l'impasse ou tenir tête à ceux qui leur infligent tant de misère et d'humiliation, à un moment où le soutien à une solution diplomatique au conflit s'estompe.

Si l'on n'insuffle pas un nouveau souffle à une initiative politique qui permettrait d'abord d'améliorer la vie quotidienne des Palestiniens et de les traiter avec la dignité et l'humanité qu'ils méritent, puis d'introduire la vision d'une solution politique, la probabilité de la violence devient une réalité inéluctable. Au lieu de cela, Israël tente d'inverser la causalité des événements pour justifier son idée fixe selon laquelle il n'y a pas de partenaire pour la paix, et par cette excuse, de poursuivre l'occupation à perpétuité.

Une autre contribution à l'impasse diplomatique actuelle qui ouvre la porte au militantisme, est la volatilité du système politique israélien et la montée de la droite, y compris les composantes messianiques d'ultra-droite des kahanistes, dont on prévoit un bon score aux élections générales de novembre. Cette situation n'a pas échappé aux Palestiniens et suscite à la fois la peur et la colère. Un groupe qui était autrefois considéré comme un phénomène odieux en marge de la société et de la politique israéliennes, un groupe qui appelait à l'expulsion des Palestiniens de Cisjordanie et à l'annexion de l'ensemble de son territoire, est maintenant considéré comme un partenaire légitime dans un gouvernement de coalition.

Le fait de légitimer les plus grands haïsseurs de Palestiniens dans la société israélienne et de ne pas contenir la violence des colons est devenu un facteur important de la situation dangereusement explosive qui règne aujourd'hui en Cisjordanie. Le paradigme actuel de la sécurité israélienne dans ses relations avec les Palestiniens est dépassé, à courte vue, immoral et, dans de nombreux cas, illégal aux yeux du droit international, et donc non durable, et ne peut que conduire à encore plus de violence et d'effusion de sang.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA de Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale.

Twitter: @YMekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com