ROME : Exit le Royaume-Uni et Angela Merkel: dans une Europe en recomposition, chahutée sur ses frontières orientales par des capitales frondeuses, le traité bilatéral signé vendredi par la France et l'Italie marque la volonté de ses artisans, Emmanuel Macron et Mario Draghi, de prendre le leadership européen.
Le traité du Quirinal, du nom du palais présidentiel à Rome inspiré du traité de l'Elysée franco-allemand, contient des projets de coopération renforcée dans des domaines aussi divers que la production industrielle et l'innovation, la défense, culture et l'éducation.
Mais au-delà, le rapprochement de deux pays fondateurs de l'UE revêt une valeur symbolique dans une Europe sans boussole.
"Une relation plus forte entre l'Italie et la France contribue à construire une Europe plus forte, d'autant plus nécessaire aujourd'hui face aux défis que seule une Europe plus intégrée peut affronter", affirme ainsi le président italien Sergio Mattarella.
Après le Brexit, la France est à couteaux tirés avec Londres sur les quotas de pêche. A Berlin, Angela Merkel vide son bureau en attendant la formation d'une coalition par son probable successeur, Olaf Scholz. Et les tensions sont vives sur les valeurs et l'Etat de droit entre Bruxelles et les démocraties libérales de l'UE d'un côté, Varsovie et Budapest de l'autre.
Dans ce contexte, Paris et Rome se présentent en garants de la continuité et de la stabilité.
"Nous avons besoin de structurer la relation franco-italienne face à une Allemagne qui vit un changement d'époque et face aux Polonais et aux Hongrois. Nous ne savons pas quelle UE nous aurons dans cinq, dix ans", explique Giuseppe Bettoni, professeur à l'université Tor Vergata de Rome.
Le traité était dans les tiroirs depuis 2017.
La France et l'Italie, membres de l'Otan, ont voulu accélérer après le retrait unilatéral d'Afghanistan de leur allié américain et après la crise des sous-marins australiens, explique Matthias Waechter, directeur du Centre international de formation européenne (CIFE). Ces deux événements légitiment selon lui "l'objectif d'autonomie stratégique européenne du président Macron", alors même que l'Allemagne, elle, reste "un peu hésitante".
Europe «végétative»
Un traité entre les 2e et 3e économies de la zone euro ne risque-t-il pas d'affaiblir l'Europe ?
"Bruxelles est déjà en état végétatif. Comment peut-on l'affaiblir davantage ? Ces rapports bilatéraux n'affaiblissent pas l'Europe. Ils se font parce que l'Europe est faible", estime Giuseppe Bettoni. Et de fait, approuve l'historien et professeur à Sciences Po Marc Lazar, "sur ces grands projets, on ne peut pas penser avancer tous à 27 en même temps, avec les mêmes mentalités".
Pour Matthias Waechter, il ne s'agit pas de créer une Europe à deux vitesses mais au contraire de remettre le pied sur l'accélérateur.
Et qui m'aime me suive.
"Toutes ces relations bilatérales peuvent aider à créer des noyaux dynamiques" et montrer à ses opposants que "l'Europe est en marche, qu'elle apporte des bénéfices et des solutions concrètes", assure-t-il.
Quant à l'Allemagne, le traité franco-italien ne devrait pas l'inquiéter. Emmanuel Macron a donné maints gages de son attachement à la relation franco-allemande pendant son mandat, et Mario Draghi, ex-patron de la BCE considéré comme le sauveur de l'euro en 2008, a la cote à Berlin.
"Mario Draghi pèse très lourd au Conseil européen" et il partage avec Emmanuel Macron "de nombreux points d'accord sur les politiques économiques et le plan de relance, en se heurtant aux pays frugaux", analyse Marc Lazar.
Le plan de relance et l'assouplissement des règles de déficit budgétaire dans l'UE "constituent en soi une victoire pour les pays du sud de l'Europe", note un diplomate européen à Rome.
L'axe franco-allemand reste de toute façon le plus important pour la France, selon les observateurs.
"L'Italie est contente que son partenaire se rappelle à elle, mais l'objectif de la France c'est de remettre un peu de piquant dans son alliance avec l'Allemagne", souligne Marc Lazar.
A terme, la France souhaite signer un tel accord avec l'Espagne, et l'Italie et l'Allemagne pourraient leur emboîter le pas. "Ces quatre pays auraient un poids considérable pour faire évoluer l’UE, notamment sur les critères de Maastricht, les questions démocratiques, l'immigration, la défense", estime-t-il.