Les Druzes: les grands survivants

La mystérieuse «minorité au sein d’une minorité» a enduré mille années mouvementées

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Pour de nombreuses personnes, les Druzes demeurent, jusqu’à présent, une énigme. Ce sont les adeptes arabophones d’une foi abrahamique ésotérique enracinée dans l’islam, mais qui a emprunté une voie spirituelle différente au XIe siècle.

Pour les Druzes, ces deux qualifications sont des perceptions erronées.

Forts d’un attachement générationnel solide aux terres sur lesquelles ils ont vécu pendant des siècles, les Druzes sont culturellement une communauté arabe du Moyen-Orient. À la suite de la délimitation des frontières modernes du Moyen-Orient au début du XXe siècle, les Druzes se trouvent aujourd’hui principalement en Syrie et au Liban, en Palestine, en Israël et en Jordanie.

Il y a environ 1,5 million de Druzes, ou plus, à travers le monde aujourd’hui. Vivant principalement au Moyen-Orient, en réponse aux pressions économiques et politiques, y compris les conflits et la persécution, au fil des décennies, des communautés druzes ont également vu le jour dans d’autres pays du monde.

Mais où qu’ils soient, les Druzes forment des communautés soudées, fermées aux étrangers – depuis 1043, il n’est plus possible de se convertir. En effet, même les non-initiés («juhhal») parmi les Druzes eux-mêmes n’ont pas accès, ou choisissent de ne pas avoir accès, aux textes religieux de leur confession. Ils ne sont pas non plus liés aux devoirs des initiés («uqqal»).

Il est rare qu’un.e Druze épouse un.e étranger.ère. Mais pour de nombreux jeunes Druzes déterminés à épouser des personnes de la même religion – en particulier ceux qui vivent dans des communautés qui diminuent à l’étranger –, trouver des partenaires devient un problème croissant qui ne laisse rien présager de bon pour l’avenir du peuple sur le long terme.

Aujourd’hui, comme à travers toute leur Histoire, le mystère plane toujours sur les Druzes. Cependant, compte tenu de tous les mythes et idées fausses qui les entourent, le véritable mystère est de savoir comment cette petite secte a non seulement réussi à coexister pacifiquement au sein de la mosaïque ethnique et sectaire perturbée du Moyen-Orient, mais est également restée un acteur toujours pertinent dans le paysage politique et culturel de la région.

Naissance d'une foi

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En 1928, le savant anglo-américain sémitisant et sioniste Richard Gottheil écrit: «Depuis près de neuf cents ans, un étrange corps national-religieux a vécu en Syrie.»

«Toutes sortes de théories ont été avancées par les érudits pour expliquer leurs coutumes et principes particuliers. Tous les moyens ont été mis en œuvre par leurs seigneurs pour les abattre.

Les érudits ont été aussi infructueux que les seigneurs, et les Druzes restent toujours le grand mystère des montagnes du Liban.»

Eyad Abou Chakra, auteur, rédacteur en chef du quotidien panarabe Asharq al-Awsat et spécialiste de l’anthropologie, de la géographie et de l’Histoire des Druzes, affirme que la meilleure introduction à l’identité et à la culture des Druzes, ainsi que le fondement de leur foi sous le califat ismaélien chiite fatimide au XIe siècle, se trouve dans les travaux du Dr Najla Abou Izzeddin, une éminente savante druze.

Dans son ouvrage phare de 1984, Les Druzes: une nouvelle étude de leur Histoire, de leur foi et de leur société, elle raconte comment la communauté druze s’est formée au XIe siècle «en réponse à un appel religieux (“da’wa”) propagé depuis Le Caire sous le règne du sixième calife fatimide, Al-Hakim bi-Amr Allah».

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Gravure du début du XIXe siècle de la mosquée Al-Hakim au Caire, achevée en 1013, sous le règne d'Al-Hakim bi-Amr Allah, sixième calife fatimide. (Getty)

Gravure du début du XIXe siècle de la mosquée Al-Hakim au Caire, achevée en 1013, sous le règne d'Al-Hakim bi-Amr Allah, sixième calife fatimide. (Getty)

L’appel fut lancé en l’an 1017, «dans le but d’un prosélytisme universel. Des missionnaires ont été envoyés partout et les prosélytes ont rejoint le mouvement en grand nombre».

Cependant, la nouvelle foi ne serait pas restée longtemps accessible aux étrangers. À la suite de la disparition mystérieuse de l’un des personnages essentiels de l’Histoire des Druzes, et face à des persécutions existentielles, les doyens de la foi décident de mettre entièrement fin au prosélytisme en 1043.

«Depuis lors, les Druzes constituent une communauté endogame», écrit Najla Abou Izzeddin.

On assiste alors à un revirement soudain et dramatique de la situation au XIe siècle. Les Druzes ont été chassés d’Égypte et dispersés dans toute la région. Ils se sont installés dans des secteurs qui demeurent leurs fiefs à ce jour, «dans des zones montagneuses auxquelles les étrangers peuvent difficilement accéder».

«Le Sud-Liban et Wadi al-Taym au pied du mont Hermon en sont les principales concentrations, et les plus anciennes, étant donné que les Druzes y ont vécu depuis les premières années de la da’wa

Désormais, plus de la moitié de l’ensemble de la population druze vit à Djebel el-Druze, au sud de Damas. De petits groupes peuvent également être trouvés dans les villages de Jabal al-Summaq et à Alep, une partie de Damas, et en Palestine, dans la région de Safed, ainsi que sur les pentes du mont Carmel.

Leur ascendance commune remonte à la communauté des Druzes, fondée sous le règne d’Al-Hakim bi-Amr Allah, qui devint en 996 le sixième calife de la dynastie fatimide, qui émergea en Tunisie en 909. En 969, les Fatimides avaient conquis l’Égypte et fondé Le Caire («Al-Qahirah» qui signifie «Le Conquérant») comme nouvelle capitale. Ils s’étaient également emparés de Jérusalem qui était entre les mains des Abbassides basés à Bagdad.

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En 2015, 2 000 pièces d'or frappées aux Xe et XIe siècles par le calife fatimide Al-Hakim et son fils et successeur, Al-Zahir, ont été découvertes au fond de la mer, au large de la ville israélienne de Césarée. (AFP)

En 2015, 2 000 pièces d'or frappées aux Xe et XIe siècles par le calife fatimide Al-Hakim et son fils et successeur, Al-Zahir, ont été découvertes au fond de la mer, au large de la ville israélienne de Césarée. (AFP)

À son apogée, le territoire contrôlé par le califat fatimide s’étendait à travers la couronne de l’Afrique; de la Tunisie à l’ouest, jusqu’en Égypte et au-delà à l’est; sur les deux rives de la mer Rouge, aussi loin au sud en Arabie que Médine et La Mecque; et au nord en Palestine, en Syrie et au Liban.

Les Fatimides avaient adopté l’ismaélisme, une faction chiite de l’islam. Pour les ismaéliens, Al-Hakim était le seizième imam d’une lignée descendant directement d’Ali, cousin du prophète Mahomet, et de la femme d’Ali, Fatima, la fille du prophète Mahomet.

À un moment, pendant le règne d’Al-Hakim, une croyance controversée a commencé à se propager parmi certains chefs religieux ismaéliens. Elle soutenait que le sixième calife était plus qu’un simple imam.

Dans son livre The Druze and their Faith in Tawhid, publié en 2006, le Dr Anis Obeid, écrivain druze, écrit: «À l’époque, le califat fatimide existait depuis près de quatre-vingt-dix ans et les ismaéliens, comme le reste des chiites, attendaient avec impatience l’aube de l’illumination et de la justice, ainsi que la fin de la tyrannie aux mains d’un rédempteur (Mahdi), descendant d’Ali et de Fatima.»

Il ajoute que c’est «dans ce contexte qu’Al-Hakim s’est vu accorder le statut de rédempteur attendu aux yeux de ses partisans».

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Une estampe de 1928 de la mosquée et de l'université Al-Azhar, fondée au Caire par les Fatimides en 970. (Getty)

Une estampe de 1928 de la mosquée et de l'université Al-Azhar, fondée au Caire par les Fatimides en 970. (Getty)

Répandant cette croyance, plusieurs da’is (ou «missionnaires») ismaéliens étaient arrivés au Caire depuis la Perse et l’Asie centrale. Parmi eux se trouvaient deux hommes importants; Hamza ibn Ali et Mohammad Darazi. La doctrine qu’ils prêchaient était incendiaire.

Les adeptes de ce nouveau mouvement se sont proclamés «mouwahhidoun» ou «Ahl al-Tawhid» («monothéistes» ou «unicistes»). Ils ont longtemps continué à le faire, bien qu’à un moment de leur Histoire, ils aient été plus connus sous le nom de «Druzes», un nom dérivé de celui de Darazi, ou Al-Darazi qui, lors des premiers jours du mouvement, s’est brouillé avec ses collègues missionnaires.

Le Dr Wissam Halawi, historien social spécialisé dans le monde islamique médiéval et professeur adjoint à l’Institut d’Histoire et d’anthropologie des religions de l’université de Lausanne, déclare qu’Al-Hakim était considéré comme «le nasut, la figure humaine de Dieu sur Terre».

Il précise: «Les gens qui ne sont pas très bien informés diront que les Druzes sont des hérétiques puisqu’ils affirment que Dieu est sur Terre.» Mais ce n’est pas ce qu’ils racontent.

Citant plusieurs épîtres de Hamza aux fidèles, le Dr Kais Firro, professeur d’Histoire du Moyen-Orient à l’université de Haïfa, définit ce que l’on entend par nasut dans un article intitulé La foi druze - origine, développement et interprétation, publié dans la revue Arabica en 2011. Le nasut, écrit-il, «n’était pas une incarnation de Dieu mais un “tajalli” (“manifestation”) d’une image à travers laquelle Dieu se rapproche de la compréhension humaine».

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Une gravure de 1871 de Bab al-Nasr au Caire, la Porte de la Victoire, construite par les Fatimides en 1087. (Getty)

Une gravure de 1871 de Bab al-Nasr au Caire, la Porte de la Victoire, construite par les Fatimides en 1087. (Getty)

M. Abou Chakra déclare: «Ceux qui soutiennent que la foi a pris une voie spirituelle différente font fi du fait que l’islam – la dernière des trois grandes religions abrahamiques – n’a pas rejeté les principes fondamentaux du judaïsme et du christianisme, mais plutôt complété et perfectionné les messages de Dieu.»

Dans son livre sur les mouwahhidouns, le Dr Anwar Abou Khouzam, écrit: «La foi tawhid a une profonde orientation soufie mystique.» Quant à leurs croyances théologiques, les Druzes «complètent leurs racines islamiques avec tous les tributaires philosophiques et intellectuels qui ont influencé la civilisation islamique au début du Ve siècle de l’hégire», ajoute-t-il.

Une grande partie de ce que l’on sait des principes de la foi à ses débuts provient des cent onze épîtres restantes, rassemblées au XIVe siècle dans six livres connus collectivement sous le nom de «Rasa’il al-Hikmah» ou «Épîtres de la sagesse».

Cependant, écrites comme des conseils sur un ensemble de sujets spirituels et profanes pour les croyants dispersés, ces lettres contiennent peu de dates et de faits historiques. Du fait de ce manque d’informations essentielles, diverses versions spéculatives des années fondatrices des Druzes ont émergé au fil du temps.

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Le mystère d'Al-Hakim

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Al-Hakim bi-Amr Allah, qui régna de 996 à 1021, fut le sixième et le plus mystérieux des califes fatimides. Sous son règne, écrit Najla Abou Izzeddin, «la Syrie fut placée sous le contrôle ferme des Fatimides et connut une période de prospérité».

Néanmoins, évaluer le règne d’Al-Hakim n’a pas été une tâche facile pour les historiens. Ni l’atmosphère politique polarisée de son époque ni les préjugés profonds des historiens n’ont permis des évaluations objectives. La rivalité ismaélienne entre les Fatimides et les Abbassides sunnites s’est reflétée dans les archives historiques, tout comme les affrontements militaires entre Fatimides et chrétiens.

Dans son livre de 1974, Al-Hakim bi-Amr Allah, le savant ismaélien, Dr Sadek I. Assaad, écrit: «Un récit satisfaisant de l’Histoire fatimide est une tâche des plus difficiles. Le problème majeur est bien sûr le manque d’informations cohérentes. Par rapport à la surabondance de mots que contiennent les sources concernant les dynasties omeyyades ou abbassides, les informations réelles concernant les Fatimides sont très réduites.»

«En plus de cela, il y a le point de vue biaisé des chroniqueurs. La plupart d’entre eux étaient directement ou indirectement influencés par des croyances religieuses sectaires et l’hostilité politique. Ils ont qualifié les califes fatimides d’“imposteurs” et d’“irréligieux” entre autres. Ainsi, leurs récits peuvent difficilement rendre justice à la cause fatimide.»

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Le sanctuaire de Baha al-Din, l'un des pères fondateurs de la foi druze, à Beit Jann, en Israël.

Le calife abbasside de Bagdad «supervisa une campagne antifatimide et ordonna à tous les érudits de sa Cour de signer un manifeste condamnant les Fatimides et les accusant d’atrocités et d’actes irréligieux».

Le manifeste de Bagdad accusait notamment Al-Hakim «d’incarner la divinité et de commettre des actes irréligieux».

Les points de vue contradictoires sur la personnalité et le règne d’Al-Hakim ne se multiplieront qu’après sa disparition soudaine et mystérieuse au cours de la vingt-cinquième année de son règne.

Le Dr Paul Walker, historien, directeur adjoint des programmes académiques au Center for Middle Eastern Studies de l’université de Chicago et spécialiste de l’Histoire islamique médiévale, a tenté de distinguer la réalité de la fiction au sujet de la vie et de la mort d’Al-Hakim dans son ambitieux livre de 2009, Calife du Caire.

Le titre de son premier chapitre, «Écrire la biographie d’une énigme», résume le défi auquel il a fait face. C’est un titre qui pourrait tout aussi bien s’appliquer à n'importe quel récit des débuts du mouvement druze lui-même.

M. Walker résume ainsi les différentes versions de la disparition du calife: le soir du 13 février 1021, accompagné de deux palefreniers, mais pas de gardes, le calife partit de son palais pour sa promenade habituelle au clair de lune à travers le désert.

Les trois hommes sont abordés par sept membres de la tribu bédouine qui exigent de l’argent. Al-Hakim renvoie les palefreniers au palais pour chercher la somme exigée. Ce fut la dernière fois où il a été aperçu. Quelques jours plus tard, une équipe de recherche n’a trouvé que ses robes, lacérées avec une lame, et sa monture, cruellement blessée.

Les théories abondent, écrit Paul Walker: «Al-Hakim était-il vraiment décédé, assassiné d’une manière ou d’une autre, ou aurait-il plutôt abandonné sa vie royale, errant comme un ascète reclus?»

Quoi qu’il en soit, Al-Hakim était parti et, avec sa disparition, le sort du mouvement druze embryonnaire brièvement privilégié prit un tournant dramatique.

Grâce à l’influence de sa sœur Sitt al-Mulk, le calife est remplacé par le neveu de cette dernière, le fils d’Al-Hakim, Ali al-Zahir, alors âgé de 16 ans. Sous son autorité, les Fatimides imposent un retour à l’orthodoxie ismaélienne et persécutent les Druzes.

Hamza ibn Ali et quatre des cinq autres dirigeants se cachèrent immédiatement. Les partisans qui ont échappé à la menace d’Al-Zahir de massacrer tous ceux qui croyaient en la supposée divinité de son père ont fui l’Égypte et se sont réfugiés au sud du Liban, en Syrie et en Palestine, où leurs descendants se trouvent encore aujourd’hui.

Une fois de plus, les brumes du temps ont masqué les faits. Après avoir fui Le Caire en 1021, Hamza n’aurait plus jamais été revu, bien qu’il semble avoir communiqué par lettre avec son adjoint et successeur, Al-Muqtana Baha al-Din (Ali ibn Ahmad al-Sammouqi al-Ta’je). Selon certains récits, Hamza aurait cherché refuge à La Mecque, mais il y aurait été arrêté et mis à mort par le chérif.

 Mais les Druzes ne se sont pas arrêtés là. Baha al-Din continue de répandre la parole et de soutenir les fidèles. Pendant les deux décennies suivantes, et jusqu’à sa mort en 1043, il a également supervisé la collection des cent onze Épîtres de la sagesse, écrites par Hamza et une poignée de ses disciples les plus proches.

Les épîtres ont finalement été compilées dans les six livres de Rasa’il al-Hikmah au XVIe siècle par Jamal al-Din Abdallah al-Tanukhi (également connu sous le nom d’«Al-Amir al-Sayyed Abdallah»), un théologien druze dont la tombe au Liban est toujours visitée par les pèlerins druzes.

La dernière épître connue des fidèles a été écrite par Baha al-Din lui-même, en 1043. Dans celle-ci, recherchant la sécurité à travers le secret pour les croyants, il leur ordonne de cacher leurs croyances et de mettre fin à la période de prosélytisme commencée par Hamza vingt-six ans plus tôt. La foi druze a été fermée aux nouveaux arrivants pour toujours.

Le Dr Obeid déclare: «Comme toute minorité confrontée à la persécution, elle s’est protégée dans une sorte de dissimulation.» Les mouwahhidouns, ajoute-t-il, «craignaient que la foi ne tombe entre de mauvaises mains et l’ont donc protégée en se divisant en uqqal (“initiés” ou “sages”) et en juhhal (“non-initiés” ou “ignorants”)».

Pendant les cinquante années suivantes, et jusqu’à l’arrivée des croisés chrétiens en Terre sainte, l’Histoire ne relate rien sur les Druzes.

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Depuis la fin du XIe siècle et tout au long des occupations chrétiennes de la Terre Sainte, les guerriers druzes ont joué un rôle de premier plan dans la résistance aux armées des Croisés venues d'Europe. (Getty)

Dans son livre Les Druzes, publié en 1988, le Dr Robert Brenton Betts, directeur du Centre de recherche américain en Égypte, écrit: «Après 1043, une communauté fermée et secrète s’est effectivement fondue dans le paysage levantin, comme un autre culte religieux qui visait l’acceptation universelle, mais a survécu comme un reste réduit qui demeurait très isolé, refusant de partager ses croyances avec les différentes communautés religieuses voisines qui composent à ce jour la mosaïque religieuse qu’est le mont Liban.»

Au fil du temps, le mystère entourant les Druzes et leurs croyances s’est approfondi – une situation qui convenait assez bien aux membres de la secte secrète. La terreur qui avait suivi la disparition d’Al-Hakim avait propagé la croyance que la persécution, ou mihna, était un test de leur foi et un signe précurseur du Jugement dernier, qui devait être accompagné de la réapparition du sixième calife.

Autrefois, comme de nos jours, les Druzes sont devenus des caméléons culturels, capables de se fondre dans leur environnement, pour mieux se protéger.

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Le sanctuaire de Baha al-Din, l'un des pères fondateurs de la foi druze, à Beit Jann, en Israël.

Le sanctuaire de Baha al-Din, l'un des pères fondateurs de la foi druze, à Beit Jann, en Israël.

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Depuis la fin du XIe siècle et tout au long des occupations chrétiennes de la Terre Sainte, les guerriers druzes ont joué un rôle de premier plan dans la résistance aux armées des Croisés venues d'Europe. (Getty)

Depuis la fin du XIe siècle et tout au long des occupations chrétiennes de la Terre Sainte, les guerriers druzes ont joué un rôle de premier plan dans la résistance aux armées des Croisés venues d'Europe. (Getty)

Mythes et idées reçues

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Le secret dont les Druzes entourent leur foi et leur peuple a fait qu'au fil des siècles, les mythes sur leurs origines se sont inévitablement multipliés.

«Il est impossible de comprendre l'identité ethnique des Druzes sans aborder l'histoire du Moyen-Orient et rappeler que c'est une terre de civilisations anciennes qui se chevauchent», ajoute Abou Chakra.

«C'est le berceau des trois religions abrahamiques du monde, le carrefour des deux routes commerciales historiques, la route de l'encens et la route de la soie, et il est situé à la croisée de l'Asie, de l'Afrique et de l'Europe. Ainsi, étant donné les conquêtes, les mariages mixtes et les déplacements au cours de l'histoire, l'anthropologie du Moyen-Orient est très complexe et ne permet pas d’évoquer des races pures.»

Néanmoins, l'imagination débordante d'innombrables auteurs et «historiens» occidentaux a associé les Druzes aux druides de l'ancienne Grande-Bretagne, à la secrète fraternité européenne médiévale de la franc-maçonnerie, aux sujets du roi phénicien Hiram de Tyr, aux bâtisseurs du temple de Salomon et même, dans un récit, au «peuple restant d'Israël qui a fui la colère de Moïse après la destruction du veau en fonte».

L'un des mythes les plus romanesques convient mieux à l'intrigue d'un roman de Dan Brown qu'aux pages d'un livre d'histoire sérieux. Au XVIIe siècle, l'imagination populaire française a répandu l'idée que les Druzes étaient les descendants des survivants d'une armée perdue de croisés chrétiens venus d'Europe, qui avaient fui la colère des mamelouks victorieux après la chute de la forteresse chrétienne d'Acre en 1291, s'étaient réfugiés dans les montagnes du Liban et n'en étaient jamais repartis.

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Une théorie fantaisiste populaire dans la France du XVIIIe siècle était que les Druzes descendaient d'une armée de Croisés vaincue dont les survivants avaient cherché refuge dans les montagnes du Liban. (Getty)

Une théorie fantaisiste populaire dans la France du XVIIIe siècle était que les Druzes descendaient d'une armée de Croisés vaincue dont les survivants avaient cherché refuge dans les montagnes du Liban. (Getty)

En 1763, le mythe était devenu un «fait», validé par la publication du livre Histoire des Druses, peuple du Liban, formé par une colonie de François par l'écrivain Puget de Saint-Pierre, très imaginatif mais totalement mal informé.

La plupart des historiens druzes sont cependant d'accord avec l'émir Chakib Arslane, l'éminent intellectuel et homme politique druze panislamiste et arabisant, qui a soutenu que, si quelques familles notables sont d'origine turque et kurde, les Druzes sont pour l'essentiel de purs Arabes. Il a même écrit une fois: «Aucun Arabe en dehors de la péninsule Arabique n'est aussi purement arabe que les Druzes.»

Les tribus arabes, dit Abou Chakra, «s'étaient déjà installées dans de nombreuses parties de la Syrie, de l'Irak et de la Turquie actuels avant la conquête islamique», comme en témoignent trois régions qui portent des noms de tribus arabes. Il ajoute: «À l'époque omeyyade, des tribus arabes s'étaient également installées en Transoxiane, y compris dans les actuelles anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale que sont l'Ouzbékistan, le Turkménistan et le Kazakhstan.»

Dans son livre, Abou Izzeddin souligne que la revendication d'origine arabe des Druzes n'est pas motivée par des considérations d'intérêt personnel, car les Arabes ne prédominaient plus lorsque la communauté druze s'est constituée au cours de la première moitié du XIe siècle.

Des dynasties non arabes, telles que les ayyoubides, les saljuks, les mamelouks et, enfin, les Ottomans, étaient les puissances dominantes à cette époque et pendant les siècles qui ont suivi.

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Pendant des siècles, les Druzes ont survécu sous une série de régimes non arabes, dont les Seldjoukides, une dynastie turco-perse qui a dominé le Levant au XIe siècle. (Getty)

Pendant des siècles, les Druzes ont survécu sous une série de régimes non arabes, dont les Seldjoukides, une dynastie turco-perse qui a dominé le Levant au XIe siècle. (Getty)

Déterminer les origines, et plus encore la foi, est un défi qui a intrigué et souvent fait échouer des générations d'historiens, principalement parce que les Druzes, notoirement peu ouverts – ou mal informés – sur leurs croyances, préfèrent rester dans l'ombre.

Aujourd'hui comme hier, il ne s'agit pas d'une foi qui s’affiche ni d'une foi qui, à l'exception d'une brève période au XIe siècle, accepte les convertis.

Aujourd'hui encore, la difficulté de comprendre les croyances des Druzes réside dans le fait que le secret sur la foi s'étend même à la majorité de ceux qui y adhèrent, comme cela a été le cas depuis les premiers jours. Face à la persécution dans l'Égypte du XIe siècle, «nos ancêtres les mouwahhidoun se sont renfermés religieusement», dit Obeid.

«Beaucoup de Druzes n'ont eux-mêmes aucune idée de ce qu'est leur foi, à l'exception de quelques sujets de discussion», ajoute Obeid, dont le grand-père maternel était le chef du Conseil druze d'Aley, au Liban. Depuis des générations, seuls les quelques élus admis dans les rangs de l'uqqal ont eu accès aux «épîtres de la sagesse», tandis que les juhhal ont toujours compté sur l'instruction orale.

Bien que les Druzes vénèrent un certain nombre de prophètes – tels que Jethro (Shuaib) et Job (Ayoub) – et possèdent des sanctuaires, leurs réunions religieuses (qu'ils appellent «Laylet al-Jumaa») ont lieu le jeudi soir, soit au domicile d'un membre éminent de la communauté, soit dans le «cadre simple et austère» d'un majlis communautaire, ou lieu de réunion.

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Le sanctuaire abritant la tombe du prophète Shouaïb, près de Tibériade dans le nord d'Israël, est une destination pour les pèlerins druzes depuis des siècles. (AFP)

Le sanctuaire abritant la tombe du prophète Shouaïb, près de Tibériade dans le nord d'Israël, est une destination pour les pèlerins druzes depuis des siècles. (AFP)

Obeid a déclaré: «À la fin de la séance de prédication, les juhhal sont poliment remerciés et le cercle restreint des uqqal reprend le processus de culte formel.» Ce processus consistait normalement «à lire des passages désignés des “Livres de la Sagesse” et des écrits d'autres érudits religieux». Les passages des livres sacrés, y compris le Coran, «sont lus et interprétés à la lumière des principes de la foi».

Au fil des ans, certaines versions de l'intégralité de Rasa'il al-Hikmah, le recueil de 111 épîtres écrites aux fidèles par les premiers chefs druzes, ont été publiées, prétendument à partir de manuscrits conservés dans des bibliothèques occidentales. Les chefs religieux druzes, cependant, les ont rejetés, les qualifiant d’outils de corruption, mis en place par des opposants religieux pour déformer la foi.

L'une des conséquences de ce secret et du système d'initiation est que deux Druzes «ordinaires» semblent avoir exactement la même perception des principes de leur foi et de la manière de l'observer.

Un exemple est la croyance druze en la réincarnation, al-taqammus: il n'y a qu'un nombre limité d'âmes sur Terre et lorsqu'une personne meurt, son âme est immédiatement réincarnée dans un autre humain nouveau-né.

«Les Druzes croient que la vie ne commence pas à la naissance et ne se termine pas à la mort. C'est un voyage continu et ils croient donc que le catalyseur de toute vie est transmis à la suivante – l'âme est le passager, pour ainsi dire, et le corps est le véhicule. Dès que le véhicule cesse de fonctionner, le passager se déplace vers un autre, un nouveau-né, et le voyage continue», ajoute Obeid.

Les Druzes ne croient pas à la transmigration des âmes vers des êtres supérieurs ou inférieurs. Cependant, «il n'y a pas de consensus entre les Druzes concernant la réincarnation», comme l'a écrit l'anthropologue Anne Bennett de l'Université de l'État de Californie, dans la revue Ethnology en 2006, après une série d'entretiens avec des Druzes dans les zones urbaines et rurales du sud de la Syrie.

Elle conclut que «beaucoup sont sceptiques à l'égard du phénomène et le rejettent d'emblée», alors que, par ailleurs, «beaucoup d'autres font circuler des histoires et font preuve de curiosité et d'ouverture à l'égard du phénomène».

Quoi qu'il en soit, le concept druze de réincarnation reflète une destination ultime. Obeid dit: «En fin de compte, le but de ce voyage est d'atteindre finalement la plus grande proximité avec le Créateur.»

Il n'existe, ajoute-t-il, «aucun code ou règlement écrit connu qui régisse cet ordre religieux», mais «ses membres adhèrent à des règles de conduite strictes dans la vie personnelle et publique et restent soumis à un contrôle permanent de leurs pairs».

Les juhhal, qui constituent la grande majorité des Druzes, ne s’encombrent pas de rituels, ni même d'une compréhension profonde des écritures dans leur foi, mais se concentrent sur la doctrine centrale du Tawhid. Cette doctrine, explique Obeid, «fait référence à l'attestation de l'unicité de Dieu ainsi qu'à l'unité de l'univers dans tous ses aspects au sein de l'unicité du Créateur».

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Gravure du XVIIe siècle du palais de Beiteddine, au Liban, «résidence des chefs druzes». (Getty)

Gravure du XVIIe siècle du palais de Beiteddine, au Liban, «résidence des chefs druzes». (Getty)

Cette autorisation de penser – de «chercher à être guidé dans cette quête (de la connaissance et de l'illumination) par l'exercice du libre arbitre... et l'utilisation de la raison» – est ancrée dans le large éventail d'écritures et de philosophies dont s'inspire la pensée druze.

Bien que l'islam, «à travers les révélations du Coran, soit le fondement sur lequel repose la philosophie du Tawhid et la porte d'accès à cette connaissance», le Tawhid s'inspire aussi d'autres religions monothéistes et «également de pratiques philosophiques et mystiques qui ont précédé l'islam traditionnel ou qui n'en faisaient pas partie».

Les Druzes d'aujourd'hui n'ignorent rien de ces fondements intellectuels. Citant le Dr Abdallah Najjar, une ancienne personnalité de la communauté druze et arabo-américaine aux États-Unis, Obeid écrit: «En tant que Druze, l'Orient et l'Occident ont fusionné en moi. Pendant mille ans, j'ai été au cœur du courant de l'histoire humaine, défendant la dignité de l'homme et luttant pour sa liberté.»

«En tant que Druze, je suis un musulman influencé par la théologie orientale et la pensée occidentale, par le témoignage chrétien, la loi judaïque et la pratique ésotérique. En tant que Druze, je suis un fier montagnard élevé dans la tradition puritaine et tribale d'une société austère et dévote.»

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Une communauté dispersée

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Dans le monde d'aujourd'hui, on estime à 1,5 million le nombre de Druzes, qui sont principalement en Syrie, au Liban, en Jordanie et en Israël, mais on les trouve aussi dispersés dans le monde entier, dans des communautés grandes et petites, de l'Amérique à l'Australie.

Reflétant des siècles d'adhésion au principe d'autoprotection de la taqiyya – la dissimulation tactique de la croyance religieuse face à la persécution – chacune de ces communautés, tout en adhérant aux principes de sa foi, s'est adaptée à son environnement, prêtant allégeance à l'État dans lequel elle se trouve.

Au Moyen-Orient, au fil des générations, cela a supposé de s'adapter aux changements sismiques de la géopolitique. Lorsque les Druzes ont fui les persécutions dont ils étaient victimes au Caire au XIe siècle, les terres à l'est où ils se sont réinstallés et où leur foi s'est développée ressemblaient peu à la forme des États-nations du Moyen-Orient qu'ils allaient devenir au XXe siècle.

Sous l'empire Ottoman, entre le XVIe et le XIXe siècle, les Druzes avaient bénéficié d'une certaine autonomie dans la chaîne de montagnes du Mont-Liban. Après la Première Guerre mondiale, cependant, et le partage entre les alliés victorieux du butin de l'empire Ottoman vaincu, les Druzes se sont retrouvés contrôlés par les Français sous les nouveaux mandats de la Syrie et du Liban, et celui des Britanniques en Palestine.

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Sortie des Ottomans, place aux Britanniques. Avec la chute de Jérusalem en 1917, les Druzes de Palestine se sont retrouvés sous le contrôle de l'Empire britannique, dont le mandat n'a pris fin qu'avec la création de l'État d'Israël en 1948. (Getty)

Les Français sont partis en 1946. Entre 1975 et 1990, le Liban indépendant a été ravagé par la guerre civile et, jusqu'en 2005, a connu une série d'interventions des troupes israéliennes et syriennes. Quoi qu'il en soit, les Druzes restent aujourd'hui ancrés dans le Mont-Liban et, plus au sud, dans le fertile Wadi al-Taym – l'endroit où les Druzes sont apparus pour la première fois sous ce nom dans les écrits.

Dans la Palestine d’après-guerre sous mandat et sous contrôle britannique, les Druzes ont survécu aux conflits en série entre Arabes et Juifs, à la fondation d'Israël en 1948 et à la guerre israélo-arabe qui a suivi.

Plus au sud, même le transfert, après la Première Guerre mondiale, d'une grande partie de la province ottomane de Syrie dans le protectorat britannique de Transjordanie, qui a obtenu son indépendance en 1946 sous le nom de «royaume hachémite de Transjordanie», n'a pas réussi à déloger les Druzes de leur patrie historique dans le nord de la région.

En Syrie, les Druzes ont subi une série de transformations douloureuses, des crises identitaires qui se poursuivent encore aujourd'hui, depuis le mandat français d'après-guerre, puis de la République syrienne sous contrôle français en 1930, jusqu'à l'indépendance en 1946, un coup d'État en 1963 et, plus récemment, la guerre civile syrienne, qui a débuté en 2011 et qui se poursuit.

Fait intriguant, à un moment donné, pendant les bouleversements qui ont suivi la Première Guerre mondiale, les Druzes ont failli acquérir leur propre État autonome, bien que sous surveillance française, dans une petite partie de la Syrie. Le 4 mars 1922, les Français ont créé l'État autonome de Soueïda, qui correspond à peu près à la zone de Jabal al-Druze occupée par les Druzes en Syrie aujourd'hui. Selon un recensement français de 1922, la population de la région de l'État était composée principalement de 43 000 Druzes (plus de 84% du total), vivant aux côtés de 7 000 chrétiens et de 700 musulmans sunnites.

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En 1927, il a été rebaptisé «État druze de Jabal», mais a cessé d'exister après que les nationalistes syriens – menés à la révolte par le chef druze vénéré Sultan al-Atrash – ont obtenu leur indépendance de la France en vertu du traité franco-syrien de 1936. En fait, la France n'a retiré ses troupes qu'en 1946, lorsque la République syrienne a finalement été reconnue par l'ONU.

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Sultan al-Atrash, héros druze du soulèvement syrien contre les Français. Un million de personnes ont assisté à ses funérailles en 1982.

Il est révélateur qu'Al-Atrash n'ait pas cherché à obtenir l'indépendance uniquement pour les Druzes; ce qu'il voulait, c'était la souveraineté nationale pour l'ensemble de la Syrie. Aujourd'hui, il est un héros pour les Syriens et les Druzes, commémoré par des statues dans les villages du Jabal al-Druze. Lorsqu'il est mort en 1982, ses funérailles à Soueïda ont rassemblé un million de personnes.

Tout au long de l'histoire, ce qui est remarquable chez les Druzes, c'est que, d'une manière ou d'une autre, alors que les bouleversements géopolitiques faisaient rage autour d'eux, ils ont réussi non seulement à éviter l'anéantissement – sinon toujours le conflit – mais aussi à conserver leurs terres et leur identité distincte tout en côtoyant leurs voisins musulmans, chrétiens ou juifs, sunnites ou chiites.

En même temps, bien sûr, au fil des décennies, les pressions de la vie d'une minorité dans la région historiquement la plus tumultueuse du monde ont poussé de nombreux Druzes à chercher fortune et un meilleur avenir à l'étranger. Mais où qu'ils aient pris racine, le secret de leur réussite remonte à l'épître d'adieu de Baha al-Din, l'ancien disciple de Hamza ibn Ali ibn Ahmad, dans laquelle il exhortait ses disciples à dissimuler leur allégeance à la foi.

Cet attachement au principe de la taqiyya n'est peut-être nulle part aussi concrètement démontré qu'en Israël, où quelque 150 000 Druzes vivent, principalement en Galilée, dans la région du Carmel et, depuis son annexion par Israël en 1981, sur le plateau du Golan.

Contrairement aux autres Arabes du pays, les Bédouins druzes et sunnites sont soumis à la conscription dans l'armée aux côtés des autres Israéliens. Pendant des décennies, les soldats druzes ont servi dans leur propre bataillon Herev («épée»), qui a été dissous en 2015 après soixante-sept ans de service.

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Le chef spirituel druze cheikh Mouafak Tarif lors d'un rassemblement à Tel Aviv en 2018, manifestant contre la «loi sur l'État-nation juif» d’Israël.

Étant donné l'engagement d'une partie de la communauté envers l'État israélien, les Druzes ont réagi avec indignation à la récente et controversée loi israélienne sur l'État-nation, qui consacre Israël comme «le foyer national du peuple juif» et préconise que «le droit d'exercer l'autodétermination nationale dans l'État d'Israël est propre au peuple juif».

Lors de protestations soutenues par d'éminents dirigeants juifs, des milliers de Druzes sont descendus dans la rue pour manifester contre la loi, qu'ils considèrent comme une trahison de leur engagement générationnel envers Israël.

«Malgré notre loyauté illimitée envers l'État, celui-ci ne nous considère pas comme des égaux», a déclaré le chef spirituel des Druzes israéliens, le cheikh Muafak Tarif, lors d'un rassemblement de 50 000 personnes sur la place Rabin à Tel Aviv en août 2018.

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Le lieutenant-colonel Mahmoud Kheir el-Din, membre druze des forces spéciales israéliennes, tué en 2018, a été salué comme un héros par le gouvernement israélien lorsque son identité a été dévoilée en mai 2022.

En mai, le ministre israélien des Finances, Avigdor Liberman, a demandé que la loi sur l'État-nation soit modifiée. Il s'exprimait après la publication de l'identité d'un officier des forces spéciales israéliennes tué lors d'une opération secrète dans la bande de Gaza en 2018.

Le lieutenant-colonel Mahmoud Kheir el-Din, membre de la communauté druze, avait été salué comme un «héros israélien» par le Premier ministre Naftali Bennett.

Dans un tweet, Liberman a déclaré qu'il y avait «une contradiction évidente entre la loi sur l'État-nation dans sa forme actuelle et les louanges faites au lieutenant-colonel Mahmoud Kheir el-Din». Dans une réponse tweetée, le ministre israélien des Affaires étrangères, Yair Lapid, a déclaré: «Je suis d'accord sur toute la ligne.»

S'intégrer dans la société a peut-être posé plus de défis aux Druzes vivant en Israël que dans certaines autres parties du Moyen-Orient et au-delà. Mais l'importance de l'intégration, tout en adhérant aux principes de leur foi, est une chose dont tous les Druzes sont parfaitement conscients, où que la vie les mène.

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Sortie des Ottomans, place aux Britanniques. Avec la chute de Jérusalem en 1917, les Druzes de Palestine se sont retrouvés sous le contrôle de l'Empire britannique, dont le mandat n'a pris fin qu'avec la création de l'État d'Israël en 1948. (Getty)

Sortie des Ottomans, place aux Britanniques. Avec la chute de Jérusalem en 1917, les Druzes de Palestine se sont retrouvés sous le contrôle de l'Empire britannique, dont le mandat n'a pris fin qu'avec la création de l'État d'Israël en 1948. (Getty)

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Sultan al-Atrash, héros druze du soulèvement syrien contre les Français. Un million de personnes ont assisté à ses funérailles en 1982.

Sultan al-Atrash, héros druze du soulèvement syrien contre les Français. Un million de personnes ont assisté à ses funérailles en 1982.

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Le chef spirituel druze cheikh Mouafak Tarif lors d'un rassemblement à Tel Aviv en 2018, manifestant contre la «loi sur l'État-nation juif» d’Israël.

Le chef spirituel druze cheikh Mouafak Tarif lors d'un rassemblement à Tel Aviv en 2018, manifestant contre la «loi sur l'État-nation juif» d’Israël.

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Le lieutenant-colonel Mahmoud Kheir el-Din, membre druze des forces spéciales israéliennes, tué en 2018, a été salué comme un héros par le gouvernement israélien lorsque son identité a été dévoilée en mai 2022.

Le lieutenant-colonel Mahmoud Kheir el-Din, membre druze des forces spéciales israéliennes, tué en 2018, a été salué comme un héros par le gouvernement israélien lorsque son identité a été dévoilée en mai 2022.

Les Druzes aujourd'hui:

travail acharné, loyauté et prudence

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«Les Druzes sont fidèles au sol sur lequel ils vivent et ils le protègent, comme nous l'avons vu au Liban, en Syrie et en Palestine», a affirmé Nabil Abou Hassan, âgé de 74 ans, qui s'est installé au Royaume-Uni avec sa famille il y a vingt ans.

«Où que nous soyons, nous nous intégrons pleinement à la société, nous contribuons à la communauté et en faisons partie. Il en a toujours été ainsi. Nous sommes un peuple loyal par nature.»

Il a toutefois ajouté: «Nous sommes toujours conscients du fait que nous sommes une minorité, et nous sommes prudents à ce sujet, surtout lorsque nous sommes de retour au Liban ou en Syrie et dans de tels endroits.»

Né au Nigéria, où son père dirigeait une entreprise de transport routier, Abou Hassan est retourné au Liban pour faire ses études avant de rejoindre son père dans l'entreprise familiale. Il a vécu une grande partie de sa vie professionnelle au Nigeria avec sa femme, Amal, et ses enfants, Ramzi, aujourd'hui âgé de 52 ans, et sa fille Iman, 49 ans, qui y sont nés.

Il s'est finalement installé au Royaume-Uni deux décennies après que la société y a ouvert un bureau. Il est maintenant président de la British Druze Society, fondée en 1983.

Il a précisé: «À cette époque, il y avait environ 500 Druzes au Royaume-Uni. Maintenant, les choses ont changé. Il y a eu un exode de personnes venant du Liban et de Syrie, notamment des Druzes, en raison de la situation qui y prévaut.»

On estime à 1 500 le nombre de Druzes qui vivent actuellement au Royaume-Uni.

Ghassan Saab, 76 ans, est un autre Druze de la même génération qui a su sans problème transférer sa vie et sa foi dans une autre terre et une autre culture.

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Ghassan Saab au travail à Flint, dans le Michigan, en 1966, sa première année aux États-Unis après avoir émigré du Liban.

Ghassan Saab au travail à Flint, dans le Michigan, en 1966, sa première année aux États-Unis après avoir émigré du Liban.

Il n'avait que 22 ans en 1966 lorsque, fraîchement diplômé en génie civil de l'Université américaine de Beyrouth, il s’est retrouvé dans la ville américaine de Flint, dans le Michigan.
Là, il a décroché un emploi d'ingénieur de chantier auprès de Sorensen Gross, une entreprise de construction locale établie de longue date et spécialisée dans les projets industriels, commerciaux et institutionnels.

Saab est né en 1944 dans la ville druze de Choueifat, juste au sud de Beyrouth, aîné des quatre enfants de Mahmoud et Najla Saab. Lorsqu'il est arrivé aux États-Unis en 1966, il n'envisageait pas d'émigrer pour toujours. Mais en 1970, il a «décidé de manière définitive de vivre aux États-Unis, et c'est à ce moment-là que j'ai commencé à travailler sur ma citoyenneté, jusqu’à mon serment d'allégeance à ce pays.»

Le succès fut vite au rendez-vous sur sa terre d’adoption. Cinq ans après avoir rejoint Sorensen Gross, Saab avait rapidement gravi les échelons, devenant d'abord directeur général de l'entreprise, puis, en 1971, propriétaire et président. Aujourd'hui, il est directeur général de l'entreprise, président d'une entreprise de développement immobilier à Flint, et trésorier d'une société de services manufacturiers qu'il a cofondée en 2008.

Lorsqu'il a quitté le Liban en 1966, immédiatement après avoir obtenu son diplôme, il a laissé derrière lui un pays «comparable à n'importe quel pays européen, avec un niveau de vie et d'éducation élevé. C'était le centre médical du Moyen-Orient et le centre touristique du monde arabe.»

Puis, depuis ces lointains rivages, il a vu avec désespoir en 1975 le Liban sombrer dans une guerre civile qui allait durer quinze ans.

«Le voir descendre aux enfers, une décennie après l'autre – et maintenant toucher le fond – est absolument déchirant», a-t-il confié.

La communauté est de la plus haute importance pour les Druzes, un principe dont témoigne leur détermination tout au long de l'Histoire, non seulement pour s'intégrer, mais aussi pour offrir leur contribution à n'importe quel pays dont les circonstances les ont amenés à le considérer comme le leur.

Saab a ajouté: «Je suis un Américain pleinement engagé et fidèle aux États-Unis en tant que pays. C'est là que je gagne ma vie, c'est là que sont mes amis, c'est là que sont mes employés. C'est là que se trouve ma communauté. Je vis et meurs à travers cette communauté où je me trouve. Je me sens comme un membre à part entière, fidèle à ma communauté, et je dois donner en retour à ma communauté. J'ai été élevé en ce sens depuis ma jeunesse: vous donnez en retour à votre communauté.»

Le dévouement de Saab à son pays d'adoption est l'histoire de tous les Druzes qui ont déjà choisi de quitter leur patrie et de s'installer dans un autre pays. Le slogan de l'entreprise de construction américaine de 96 ans dont il est le PDG. «Nous nous appuyons sur le passé pour construire l’avenir», semble être la devise appropriée de tous les Druzes qui sont allés dans le monde entier pour construire un nouvel avenir pour eux-mêmes et pour leur foi.

L’attachement aux États-Unis ne signifie cependant pas de tourner le dos au Liban et à la communauté druze au sens large. Saab, qui est un ancien président, et membre du conseil de l'American Druze Foundation, créée en 1989 pour préserver l'héritage druze aux États-Unis, en particulier auprès de la jeune génération, est actuellement coprésident de son conseil consultatif international.

Obeid, âgé de 87 ans, dont le livre sur les Druzes a été publié par la Syracuse University Press, est un autre Libanais des États-Unis qui caractérise la capacité des Druzes à planter de nouvelles racines tout en continuant à nourrir les anciennes.

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Anis Obeid et ses fils Omar, à gauche, et Karim. Après cinquante ans aux États-Unis, il reste en contact avec le Liban et son héritage druze.

Anis Obeid et ses fils Omar, à gauche, et Karim. Après cinquante ans aux États-Unis, il reste en contact avec le Liban et son héritage druze.

Né en 1934 et élevé dans la ville d'Aley, deuxième des six enfants d'Ibrahim et Salma Obeid, lui et sa femme Nawal vivent à Syracuse, dans l'État de New York, depuis cinquante-deux ans.

Premier médecin de la famille Obeid, il a fait ses études au National College d'Aley, une institution connue pour son caractère non confessionnel et ses valeurs civiques. L'école, si importante pour des générations d'enfants, a été endommagée pendant la guerre civile au Liban, mais restaurée plus tard grâce aux efforts de la communauté druze des États-Unis.

Obeid estime que le fait de ne pas accueillir dans la foi druze de nouveaux venus était une erreur, certainement inappropriée aujourd'hui, à une époque où «le monde est ouvert... il n'y a plus de Druzes de sang pur.» Toutes les familles sont hybrides.

Né et élevé dans «une famille druze très traditionnelle... Je ne renonce pas à mon héritage. Au contraire, j'en suis très fier, c'est pourquoi j'ai écrit ce livre», a-t-il ajouté.

Un peu poète, il a parlé de l'expérience des Druzes expatriés dans «Hybrid», un poème qu'il a écrit en 2011.

Parallèlement à son travail pour sa communauté d'adoption aux États-Unis, comme de nombreux Druzes à l'étranger, ses pensées ne sont jamais éloignées du Liban – en tant que fondateur et ancien président de l'American Druze Foundation et membre de l'AUB Alumni Association, l'American Task Force on Lebanon et le groupe de dialogue Moyen-Orient de la région de Syracuse.

Il existe de nombreuses familles druzes au Liban dont les filles et les fils se sont rendus dans le monde entier, et des mères et des pères qui, ayant voyagé à l'étranger pour travailler pour le bien de leur famille, sont retournés sur cette terre qu'ils aiment.

Les Druzes des montagnes ont une passion pour la nature, une connexion au rythme des saisons et des récoltes qui résonne avec la simple spiritualité de leur foi.

Walid Bou Ayache, 71 ans, qui a grandi dans une famille d'agriculteurs cultivant la terre autour de la ville druze de Baakline au Mont-Liban, à 45 kilomètres au sud-est de Beyrouth, a affirmé: «De mon temps, il n'y avait ni appareils mobiles, ni télévision. La chose la plus proche de vous était la terre, les arbres, l'agriculture, les récoltes et le spectacle des saisons.

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Après trente-cinq ans de travail en Arabie saoudite comme expatrié, Walid Bou Ayash est revenu cultiver la terre familiale au Mont-Liban.

Après trente-cinq ans de travail en Arabie saoudite comme expatrié, Walid Bou Ayash est revenu cultiver la terre familiale au Mont-Liban.

«Cette relation, cette connexion et cette intimité entre l'homme et sa terre, et l'amour de l'homme pour cette terre, se sont développées en moi. Cela m'est resté en grandissant et j'ai découvert que le meilleur ami de l'homme, la meilleure source de repos et de confort, était la terre.

Il parle de façon poétique d'une passion partagée par tous les Druzes qui ont grandi avec leur passé et leur avenir, enracinés dans le sol de leur patrie – une passion qu'il a transmise à ses enfants, Rami, 40 ans, qui possède et gère un magasin à Halifax, en Nouvelle-Écosse; Karem, 37 ans, artiste, qui se trouve en Arabie saoudite; et Hadi, acteur.

Il sait cependant que l'amour de la terre ne suffira pas à préparer ses enfants à la vie dans un Liban en pleine mutation.

«La mission la plus importante de ma vie était de les instruire, et je me suis battu dans des pays étrangers pour qu'ils aient cela, pour mettre cette arme entre leurs mains, afin qu'ils puissent assurer leur avenir», a-t-il ajouté.

Après que le Liban a sombré dans la guerre civile en 1975, il n'a jamais fini ses propres études et a trouvé du travail en Arabie saoudite, en tant que directeur des ventes. Il est resté dans le Royaume pendant trente-cinq ans, faisant des allers-retours dès qu'il le pouvait pour voir sa famille.

Il a confié: «Le sens des responsabilités envers mes enfants est ce qui m'a permis de continuer. C'était la seule motivation que j'avais. Vous devez vous débarrasser de l'égoïsme pour le bien des êtres humains que vous avez amenés ici sur Terre. C'est très important.»

La famille de Rabih Hamze, 44 ans, est également un produit des pressions économiques et sociales qui ont façonné la diaspora druze. Rabih habite à Londres avec son épouse, Kathy, une Australienne druze, et leurs fils Samir et Julian, âgés respectivement de 8 et 4 ans.

Il est né en 1977 en Arabie saoudite, où ses parents vivaient à l’époque, et a déménagé avec eux en Angleterre à l’âge de huit ans, en 1985, lorsque son père s’est vu offrir un emploi à Londres. La famille y est restée jusqu’en 1990, car ce dernier a décidé de les «faire revenir dans le pays après la fin de la guerre», raconte-t-il. «Nous pensions que tout irait bien à nouveau au Liban.»

Cependant, au lendemain de la guerre civile, il était difficile de trouver du travail, si bien qu’en 1991 le père de Rabih est retourné à Londres. «Il nous rendait visite chaque année au Liban, puis en 1994, ma mère et lui ont décidé que nous devions tous retourner au Royaume-Uni.» La famille y vit depuis.

Mais, comme pour beaucoup de générations de Druzes, la situation au Liban a compliqué la construction de son propre avenir. Il a rencontré Kathy alors qu’elle visitait le pays, et ils ont entamé une relation à distance entre Londres et l’Australie. «Nous devions nous fiancer en 2006 mais les conflits ont éclaté entre Israël et le Liban», se souvient-il.

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Il était coincé à Londres et Kathy était au Liban. Elle a fini par se rendre à Chypre, puis est retournée en Australie. Rabih a suivi, ils se sont fiancés en Australie et se sont finalement mariés en 2008. «Notre histoire est une histoire de guerre, d’amour, et de relation à distance.» Cette description pourrait s’appliquer beaucoup de relations druzes au fil des ans.

Rabih Hamze travaille actuellement à Londres comme responsable des systèmes sur des marchés électroniques et ses deux fils sont nés au Royaume-Uni. Il tente de se rendre au Liban avec sa famille chaque année – le village natal de son père est situé à Aabey, dans le mont Liban, tandis que sa mère est originaire de Baawerta, un village voisin – mais s’inquiète néanmoins de voir ses enfants perdre le contact avec leurs racines et leur culture.

Dans la petite population druze du Royaume-Uni, il n’existe pas d'initiés pour guider la communauté et, comme Rabih l’a appris de sa propre expérience, «en grandissant ici, il est très difficile de s’informer sur la religion sans le savoir des anciens». «Mon père avait l’habitude de nous emmener faire des activités druzes pour nous permettre de rester en contact avec le groupe et les amis. J’essaie de me faire plus d’amis druzes dont les enfants ont le même âge que les miens, pour qu’ils puissent se lier d’amitié et jouer ensemble. Je pense que ce sera plus difficile lorsqu’ils seront adolescents», ajoute-t-il.

«Le mariage entre Druzes est essentiel, car il garantit que le nombre de Druzes qui aspirent à maintenir leur foi et leur héritage ne diminue pas et que notre religion ne périsse pas.» Il craint toutefois que la jeune génération ne pense différemment: «Le monde entier et les autres cultures sont désormais accessibles grâce aux technologies. Il est difficile pour les jeunes Druzes de croire aux mariages mixtes parce que leur religion les leur interdit et qu’ils n’en savent pas grand-chose, à part ce que leur racontent leurs parents et ce vers quoi ils essaient de les orienter.»

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L’avenir des Druzes

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Abbas Halabi, éminent juge et auteur druze, estime qu’il est temps pour les adeptes de cette religion de reconsidérer la nécessité du secret généralisé que leurs ancêtres ont adopté à la suite des persécutions du passé. «Maintenir le secret était une obsession pour les Druzes en raison des circonstances auxquelles ils ont été confrontés. Cependant, les circonstances ont changé», dit-il.

«Les Druzes ne doivent pas rester prisonniers du moment politique ou religieux qui leur a dicté de garder le secret, et empêcher l’Autre, voire le monothéiste lui-même, de découvrir les secrets de la religion», poursuit-il. «Il y a eu de nombreux cas dans l’Histoire où certains penseurs et écrivains musulmans et non musulmans, ainsi que des orientalistes ont déformé l’histoire des Druzes ou ont attaqué leurs croyances parce qu’ils n'en comprenaient pas le principe et les fondements.»

«À mon avis, étant donné la curiosité des autres sur leurs origines, il est nécessaire qu’ils se présentent eux-mêmes pour ne pas laisser aux autres le soin de les définir», précise-t-il. Selon M. Halabi, il ne s’agit pas de révéler «l’essence de la religion», qui doit continuer à être préservée «par respect pour les principes de secret qu’ils ont été chargés de maintenir». Les Druzes «devraient adopter une approche différente qui permette aux autres de connaître leur mode de vie, ce qu’ils pensent, les fêtes qu’ils célèbrent et leurs valeurs», pointe encore le juge, qui estime qu’une telle approche serait particulièrement utile au Liban. 

«Depuis la fin de la guerre civile libanaise en 1990, je constate que de nombreux Libanais ignorent la réalité dans laquelle vivent les Druzes. Ils ne savent pas ce que porte leur clergé et ne connaissent ni les valeurs en lesquelles ils croient, ni leur façon de vivre, de penser, ni leurs célébrations», explique-t-il. «Dans les sociétés diversifiées, le fondement d’une vie civile pacifique est la connaissance de l’Autre. Si vous vous présentez de manière appropriée, l’Autre vous connaîtra et respectera votre vie privée, et c’est vrai aussi bien ici qu’à l’étranger.»

Les Druzes et leur religion sont aujourd’hui confrontés à diverses menaces, qui diffèrent d’un pays à l’autre. Il existe des pressions politiques et économiques au Liban, où la crise actuelle a poussé certains à quitter le pays. Selon M. Halabi, «cela affaiblit le pays, les Druzes et la montagne libanaise». En Palestine, il existe «un danger pour les Druzes et leur identité, car les sionistes cherchent inlassablement à les séparer de leurs frères palestiniens et arabes», fait-il remarquer.

En Syrie, dit-il, les menaces auxquelles sont confrontés les Druzes sont à la fois économiques et existentielles. «Nous ne devons pas oublier, par exemple, le massacre qui a eu lieu à Jabal al-Summaq, dans la banlieue d’Alep, où l’EI (Daech) a attaqué les villages druzes, déplacé leur population et imposé son idéologie extrémiste.»

Cependant, il estime qu’un autre type de menace pèse sur les Druzes de la diaspora. «Ils risquent  non seulement de perdre leur identité arabe mais aussi leur identité religieuse. Si un chrétien libanais se rend dans ces pays, il trouvera une église vers laquelle se tourner, et le musulman libanais une mosquée dans laquelle il pourra prier. Les Druzes, eux, ne disposent pas de centres religieux dans ces pays, ni même d’un représentant du cheikh Akl (chef religieux) pour gérer leurs affaires personnelles, comme le mariage, le divorce, la mort, la prière pour les morts et l’enregistrement des enfants. Cela n’existe pas», fait observer M. Halabi.

Eyad Abou Chakra souligne que le secret au sein même de la religion constitue une menace dans le monde d’aujourd’hui. «C’est une religion fermée, même pour les Druzes eux-mêmes (...) même ceux qui prétendent savoir, ne savent pas. Ainsi, lorsqu’un Druze grandit dans le pays, il est désavantagé, car d’une part, ses parents sont pratiquement analphabètes en matière de religion et, d’autre part, il n’existe pas d’institutions d’éducation religieuse sophistiquées», assure-t-il.

«En conséquence, la jeune génération est majoritairement laïque, surtout ceux qui ont quitté le Liban et vivent à l’étranger. Le pourcentage de jeunes hommes et femmes instruits est très élevé chez les Druzes, et je pense que la plupart de ces personnes non seulement ne connaissent pas grand-chose de leur religion, mais la considèrent comme une priorité»

Ajoute-t-il, craignant qu’à l’avenir, il y ait «plus de menaces que d’opportunités», en particulier «le problème numérique».

«La communauté druze ne grandit pas rapidement. Il n’y a pas de polygamie dans la religion druze, donc la taille d’une famille druze n’est pas si grande, et le taux de croissance est très lent», précise-t-il. Il constate qu’être un groupe minoritaire vivant dans «une région très incertaine» constitue également une menace. «Je ne pense pas que les Druzes se sentent en sécurité où que ce soit aujourd’hui, notamment en Syrie. Il est ironique qu’ils se sentent peut-être beaucoup plus en sécurité dans le nord de la Palestine, en Galilée, qu’en Syrie, qui possède la plus grande population druze du monde.»

M. Abou Chakra affirme qu’au Liban «la situation démographique change très rapidement». «L’émigration fait des ravages dans la communauté druze, qui est déjà petite, comme dans d’autres communautés. Je crois que les Druzes et les chrétiens du Liban sont confrontés à un avenir très incertain», dit-il avant d’ajouter qu’en définitive l’ouverture de la religion est inévitable. «De nombreux uqqal (des «initiés») sont conscients que la technologie existe, qu’il faut s’ouvrir, qu’il n’y a plus de secrets dans le monde», soutient-il.

Pour une religion qui est restée fermée pendant mille ans, un tel processus doit être géré avec prudence, mais au final, «toutes les religions se développent et changent. C’est la nature des choses, et cela arrivera tôt ou tard aux Druzes», souligne M. Abou Chakra.

Crédits

Scénariste: Ephrem Kossaify, Jonathan Gornall
Recherche: Leen Fouad
Éditrice version franҫaise: Zeina Zbibo
Directeur créatif: Simon Khalil
Designer: Omar Nashashibi
Graphisme: Douglas Okasaki
Producteur vidéo: Hasenin Fadhel
Recherche d'images: Sheila Mayo
Traduction: Arab News en franҫais
Réseaux sociaux: Jad Bitar
Éditeurs version anglaise: Tarek Ali Ahmad, Mo Gannon
Producteur: Arkan Aladnani
Rédacteur en chef: Faisal J. Abbas

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