La calligraphie arabe: Artisanat ancien, art moderne
L'art de la calligraphie arabe s'est perfectionné et développé au cours des millénaires. La calligraphie est la manifestation de la parole de Dieu, elle a aidé à préserver la connaissance et la compréhension humaines, et a aussi été témoin de la destruction de Bagdad. Elle a été codifiée, stylisée et s’est prêtée à l'abstraction. Elle a même lutté pour exister dans le monde moderne et elle est parvenue à se renouveler à travers l'art et la typographie.
La calligraphie n'a jamais été autant glorifiée que dans l'Islam. Selon la tradition islamique, Dieu «qui a enseigné à l’homme l’usage de la plume, a enseigné à l'homme ce qu'il ne savait pas» (Coran 96: 4). Il n’est donc pas étonnant que l'art de l'écriture soit aussi admiré qu’apprécié en tant qu'expression visuelle de la foi.
Elle est maintenant célébrée sous toutes ses formes. L'Arabie saoudite a prolongé l'Année de la calligraphie arabe jusqu'en 2021, et l'Unesco a inscrit cette forme artistique sur la liste du patrimoine culturel immatériel. La calligraphie arabe prend sa juste place au cœur de l'identité arabe. Comme le dit si bien le calligraphe irakien Wissam Shawkat: «C'est la seule chose qui est pure pour nous.»
Remonter aux origines
Sur les rives de l'Euphrate, à environ 170 kilomètres au sud de Bagdad, se trouve la ville irakienne de Kufa. Autrefois centre d'apprentissage pendant la période de l'âge d'or islamique, elle a aujourd’hui été pratiquement absorbée par Najaf.
Pourtant, Kufa est la ville qui a donné son nom au Koufi, le plus ancien exemple d'un style calligraphique universel, privilégié pour la transcription du Saint Coran. Un grand nombre des premiers exemplaires existants du Livre sacré islamique, notamment le Coran Bleu - un manuscrit du IXᵉ siècle qui aurait été réalisé en Espagne - et le manuscrit de Topkapi, le plus ancien Coran existant dans sa quasi-totalité, ont été écrits en utilisant cette écriture fondatrice.
Par son élégance géométrique, le Koufi était bien adapté à la décoration architecturale, l'un de ses premiers exemples connus ayant été découvert dans une inscription coranique de 240 mètres de long à l'intérieur du Dôme du Rocher à Jérusalem. La plus ancienne, cependant, date de 644 apr. J.-C. Elle est gravée sur un rocher près d'AlUla en Arabie saoudite, selon la demande d’inscription du Royaume au registre Mémoire du monde de l’Unesco. Connue sous le nom d'Inscription de Zuhayr, elle est située sur une ancienne route de commerce et de pèlerinage entre Al-Mabiyat et Madain Saleh. Elle indique la date de la mort d’Omar Ibn Al-Khattab, le deuxième calife du califat Rashidun.
Cependant, les origines exactes du Koufi et les écritures qui l'ont précédé ne sont pas claires. L'alphabet arabe serait issu du nabatéen, un dialecte araméen utilisé par un peuple arabe semi-nomade qui habitait le nord de l'Arabie, le sud du Levant et la péninsule du Sinaï, à partir du IVᵉ siècle avant notre ère. Aujourd'hui, les Nabatéens sont surtout connus pour les merveilles architecturales qu'ils ont léguées au monde, notamment Petra en Jordanie et Madain Saleh en Arabie saoudite. Leur rôle central dans la formation de l'écriture arabe est cependant sous-estimé.
Les Nabatéens utilisaient une forme d'écriture qui allait de la droite vers la gauche et présentait de fortes similitudes avec l'arabe, en particulier pour ce qui a trait à sa nature cursive et son utilisation de mots constitués en grande partie de consonnes et de voyelles longues. Le processus qui a conduit le nabatéen à évoluer pour devenir l'arabe n'est pas très clair, mais en 2014, une équipe archéologique franco-saoudienne a découvert ce qui est, à l'heure actuelle, la plus ancienne inscription connue de l'alphabet arabe. Datant de 469 à 470 apr. J.-C, elle a été découverte à 100 kilomètres au nord de Najran en Arabie saoudite. Elle est transcrite dans un texte mixte connu sous le nom d'arabe nabatéen. La découverte, décrite à l'époque comme le «chaînon manquant» entre les écritures nabatéenne et arabe, aide à comprendre la raison pour laquelle le nabatéen est considéré comme le précurseur direct de l’arabe. La plus ancienne inscription existante avait été découverte à Namara dans la Syrie d’aujourd’hui (datant de 328 apr. J.-C), mais elle était uniquement en caractères nabatéens.
La première forme d'écriture arabe est connue sous le nom de Jazm, qui à son tour s'est développée en un certain nombre de styles différents, notamment les Hiri, Anbari, Makki et Madani. Ces styles ont été nommés d'après les villes ou les régions dont ils sont issus (par exemple, Makki et Madani provenaient respectivement de La Mecque et de Médine). Ils étaient spécifiques de leur époque et de leur lieu. Les Madani et Makki sont également reliés sous l’appellation de Hijazi, nom collectif d'un certain nombre d’écritures de la région du Hijaz. Le Ma’il, une autre écriture Hijazi utilisée dans un grand nombre des premiers manuscrits coraniques, serait le prédécesseur direct du Koufi. Rappelons que le Coran de Birmingham datant du VIIe siècle est un exemple merveilleux, bien qu’incomplet, du style Hijazi.
La raison pour laquelle le Koufi est apparu comme un style calligraphique dominant au VIIᵉ siècle est ouverte à débat. Son importance s’explique très probablement par le rôle qu’il a joué dans la préservation du Coran, les conquêtes islamiques des VIIᵉ et VIIIᵉ siècles, et est due à sa beauté géométrique. Quand l'islam et la langue arabe se sont répandus à travers l'Afrique du Nord et dans la péninsule Ibérique, il était nécessaire d’adopter une écriture faisant autorité, associant esthétique et lisibilité. Au fil du temps sont apparues des variations du Koufi, avec le Koufi oriental (créé par les Perses), l'écriture maghrébine (développée en Afrique du Nord et dans la péninsule Ibérique) et le Koufi tressé et carré, incarnant l'évolution du style calligraphique.
«L’écriture Koufi est considérée comme très importante et toujours prépondérante, car c’était la première écriture à être utilisée pour le Saint Coran», explique le calligraphe saoudien Nasser Al-Salem.
«Le Koufi est un style calligraphique fascinant, car il est varié et très riche», ajoute Bahia Shehab, artiste, historienne et professeur de dessin à l’Université américaine du Caire (AUC). «Vous avez le Koufi carré simple, vous avez le Koufi primitif des premiers Corans, vous avez le Koufi de l’Est, le Koufi de l’Ouest, vous avez le Koufi fleuri, le Koufi feuilleté, le Koufi noué. Vous pourriez penser qu'il ne s'agit que d'un seul genre d’écriture, mais il est tellement riche et varié. J'adore sa géométrie, sa structure.»
Les premières versions de Koufi n'incluaient pas le pointage qui distinguerait plus tard les lettres les unes des autres, ni aucun signe pour exprimer la prononciation correcte des mots. Une interprétation correcte du texte dépendait alors de la compétence du lecteur, qui était supposé posséder les connaissances nécessaires pour déchiffrer les mots dont les voyelles n’étaient pas marquées et dont les consonnes étaient sans point. Rien n’a pas changé jusqu’à ce qu’Abu al-Aswad Al-Du’ali, considéré comme le père de la grammaire arabe, invente un système de différenciation des consonnes appelé i’jam et d’indication des voyelles (tashkeel), dans la seconde moitié du VIIᵉ siècle.
Ce système a été perfectionné au VIIIᵉ siècle par le philologue et grammairien Al-Khalil Ibn Ahmad Al-Farahidi, qui a écrit le premier dictionnaire arabe et introduit un système de voyelles courtes connu sous le nom de «harakat ». Al-Du’ali et Al-Farahidi ont tous deux vécu et travaillé à Bassorah, en Irak.
L'écriture cursive est beaucoup plus rapide que l'écriture géométrique, et si vous voulez édifier un empire, il vous faut diffuser votre message et écrire davantage de livres.
Bien que l’usage du Koufi se soit poursuivi jusqu'au XIIᵉ siècle, sa popularité a diminué, principalement en raison de l'apparition d’écritures cursives plus lisibles telles que le Naskh, qui était plus facile et plus rapide à écrire. Ce style est d’ailleurs devenu l’écriture préférée pour les livres et les documents administratifs au sein du califat abbasside.
«Il existe de nombreuses théories sur les raisons pour lesquelles l’usage du Koufi a cessé, mais jusqu’à présent, l’explication la plus logique est celle de la vitesse», explique Bahia Shehab. «L'écriture cursive est beaucoup plus rapide que l'écriture géométrique, et si vous voulez édifier un empire, il vous faut diffuser votre message et écrire davantage de livres. L’écriture cursive est plus rapide que l’écriture géométrique qui est plus angulaire et nécessite plus de précision et de temps. »
Pour l’artiste et historienne, «le Koufi n’a jamais complètement disparu. Il a fait son retour à plusieurs occasions. Par exemple, au cours de la période mamelouke, il a commencé à réapparaître dans les titres des Ayah du Coran et dans la célèbre mosquée Sultan Hassan. Sa géométrie est marquée par l’élégance, et le Koufi sera toujours utilisé, même s’il nous faut encore percer son secret. »
Comment la calligraphie a été codifiée pour la première fois
Bien que largement reconnaissable par son caractère angulaire et ses qualités géométriques, le Koufi ne comprenait pas de règles spécifiques ni aucune forme d’uniformisation universellement acceptée. Cela a conduit à des versions très différentes. Cette écriture, manquant d’uniformisation a pris fin (du moins pour les écritures cursives) avec l'arrivée d'Abu Ali Muhammad Ibn Ali Ibn Muqla - mieux connu sous le nom d'Ibn Muqla - maître calligraphe et vizir au sein du califat abbasside. Il a été la première personne à codifier les règles de la calligraphie.
Le système d’écritures proportionnelles d’Ibn Muqla (appelé «Al-Khatt Al-Mansub») marquerait la naissance de la cohérence visuelle dans le système d’écriture arabe. Reflétant une association avec le divin, le système qu'il développait garantissait que les lettres d'une écriture donnée étaient proportionnelles. Cela a été réalisé en établissant le point rhomboïdal (créé par la plume du qalam d'un calligraphe), la longueur de l'aleph (la première lettre de l'alphabet arabe) et le cercle (avec un diamètre égal à la hauteur de l'aleph) comme les unités de mesure par lesquelles la taille de toutes les lettres est calculée. Ce système codifié a été appliqué à six écritures calligraphiques, connues sous le nom d'Al-Aqlam Al-Sitta: Naskh, Muhaqqaq, Rayhani, Thuluth, Riqa (à ne pas confondre avec Ruqʿah) et Tawqi. A titre d’exemple, la hauteur de l'aleph mesure huit points en Muhaqqaq, sept en Thuluth et six en Tawqi. «On peut dire qu’Ibn Muqla a été l'ingénieur de l'écriture», explique Nasser Al-Salem. «Il a compilé toutes les données relatives aux techniques d'écriture. C'est lui qui a constitué un ensemble à partir de toutes ces informations afin qu'elles puissent être transmises d'une génération à l'autre. »
Pas une seule ligne de l’œuvre d’Ibn Muqla n’a survécu, mais son influence sur la calligraphie a été considérable.
Pas une seule ligne de l’œuvre d’Ibn Muqla n’a survécu, mais son influence sur la calligraphie a été considérable. Il a apporté une précision mathématique à la reproduction des lettres et a accru l'esthétique de la calligraphie grâce à des dessins géométriques. Cependant, la nature violente de sa disparition - sa main droite a été coupée afin qu'il ne puisse pas écrire, puis sa langue a subi le même sort quand il a protesté - a laissé une cicatrice émotionnelle. Il est finalement mort en prison en 940 apr. J.-C.
«Ce qui est grave dans l'héritage d'Ibn Muqla, c'est sa vie tragique, et cela nous affecte tous émotionnellement en tant que calligraphes», affirme l'artiste et calligraphe irakien Hassan Massoudy. «Même si nous n'avons pas vu son travail, tout le monde reconnaît qu'il a défini et renforcé des règles géométriques simplifiées pour la forme des lettres. C’est le seul personnage connu jusqu'au Xᵉ siècle, resté le plus célèbre parmi de nombreux autres calligraphes. Si sa trace existe toujours, cela montre que la société a accordé du respect aux calligraphes, mais nous sommes également choqués par la sauvagerie avec laquelle il a été traité dans la société abbasside. Il a connu ce sort pour avoir dit que les Abbassides avaient atteint un tel niveau de décadence et de luxe qu'ils ne méritaient plus l'écriture Koufi, et qu’ils devraient utiliser un style calligraphique plus léger.
Dans les années et les siècles qui ont suivi la mort d’Ibn Muqla, son travail a été affiné et enrichi par Ibn Al-Bawwab et Yaqut Al-Musta’simi, qui ont tous deux passé la majorité de leur vie à Bagdad. Le premier a écrit environ 64 exemplaires du Coran, dont le plus célèbre - et le seul qui existe encore - se trouve maintenant à la Chester Beatty Library à Dublin. C’est l’un des premiers Corans connus à avoir été travaillés sur papier plutôt que sur parchemin, et l’un des premiers à avoir été écrits en style Naskh.
C’est Ibn Al-Bawwab qui a repris le système d’écritures proportionnelles d’Ibn Muqla et les a rehaussées artistiquement, grâce à l’utilisation élégante du rythme et du mouvement. «Malgré la régularité des lettres, il n'y a rien en elles de sèchement mécanique, et c'était sûrement là l'essence de la contribution stimulante d'Ibn Al-Bawwab à l'art de la calligraphie», écrivait David Storm Rice en 1955. «Il a obtenu une écriture élégante et fluide, tout en préservant un alphabet régulier et proportionné. Cela semble facile à imiter, et pourtant cela défie l'imitation. »
Al-Musta’simi, le dernier des grands calligraphes médiévaux, affinera encore l’Al-Aqlam Al-Sitta au XIIIᵉ siècle. Connu sous le nom de Sultan Al-Kuttab (sultan des calligraphes), il a été secrétaire du dernier calife abbasside et a survécu au saccage de Bagdad par les Mongols en 1258. Il a remplacé le qalam à coupe droite (la plume du calligraphe) par une coupe oblique, ce qui a donné une écriture plus raffinée et plus élégante. C’est Al-Musta’simi qui servira largement d’inspiration aux calligraphes persans et ottomans après la destruction de Bagdad et la fin sanglante de l’âge d’or islamique.
À la suite de la destruction de la capitale abbasside par les Mongols, le centre de l’excellence calligraphique finira par se déplacer vers le nord, à Istanbul, où la calligraphie atteindra finalement son apogée. Les Ottomans ont inventé ou perfectionné plusieurs styles d’écriture, y compris le Ruqʿah, avec ses lignes droites et ses courbes simples, et l’écriture Diwani complexe et fortement stylisée, élaborée pour être utilisée dans les documents juridiques, afin de garantir la confidentialité et d’empêcher la falsification.
«On disait dans le passé que l'écriture manuscrite est emblématique de l'humanité elle-même, et quand on voit des lignes du passé, on peut aussi distinguer clairement la nature du calligraphe dans ses écrits», affirme Hassan Massoudy. «A titre d’exemple, dans l'État ottoman des XVᵉ et XVIᵉ siècles, il y avait deux grands calligraphes dont le travail nous est parvenu. Le premier est Cheikh Hamdullah, dont la calligraphie était pleine de sentiments délicats et doux. L'autre calligraphe, Ahmed Karahisari, a construit des lettres complexes, en particulier la lettre «A» (l'aleph), qu'il a dessinée en hauteur comme un phare. La personnalité d’un calligraphe se révèle dans le style, l’un peut ainsi créer une œuvre fermée, statique et rigide, tandis que le second donnera aux mêmes lettres vigueur, ouverture et vitalité. »
Cheikh Hamdullah était le plus important des calligraphes turcs, et il est considéré comme le père de l'école ottomane. Inspiré par le travail d’Al-Musta’simi, il a affiné les six écritures initialement codifiées par Ibn Muqla, perfectionné les écritures Naskh et Thuluth, et procédé à l’écriture d’environ 47 exemplaires du Coran. Son utilisation du Naskh en particulier a fait de cette écriture la plus élégante et la plus lisible de toutes pour la transcription du Coran. Plusieurs exemplaires des Corans de Hamdullah sont conservés dans les collections publiques turques, dont un exemplaire écrit pour le sultan Bayezid II en 1496.
Le style Jali – ou « grand » – dans l’esprit du Thuluth et du Diwan a également été développé pendant cette période. C’est un style incroyablement complexe, susceptible de défier même les calligraphes expérimentés. «Il a des caractéristiques très particulières, et plus vous l'étudiez, plus vous le découvrez», explique l'artiste et dessinateur saoudo-irakien Majid Alyousef. «Cela me rappelle les dessins fractals où vous voyez plus de détails apparaître à chaque fois que vous effectuez un zoom avant. Cette caractéristique l’a rendu plus intéressant à l'étude et à la recherche, surtout lorsque j'ai commencé à étudier le dessin et l'abstraction. »
Les Ottomans ont catégorisé de façon singulière les écritures de par leur utilisation, et ont créé un système qui déterminait quelles écritures seraient utilisées pour quelles fonctions, dépendamment de leur forme. Cela signifie que la taille, la complexité, et même les proportions harmonieuses de chaque écriture décidaient de leur utilisation. Par exemple, le Tumar était utilisé pour les accords, le Ruqʿah était réservé à l'écriture manuscrite simple et à la correspondance, et le Diwani Jali était utilisé pour de courts textes officiels tels que des invitations, des attestations, et des citations religieuses.
Les nombreuses utilisations de la calligraphie arabe
Bien que le développement de la calligraphie arabe soit étroitement lié au Coran, elle a été utilisée dès le départ pour diverses fonctions. Elle a orné pratiquement toute surface, a été adoptée par une multitude de professions, et a été utilisée de manière innovante pour créer des œuvres d'art basées sur des lettres ou des mots séparés. En tant que telle, elle fait partie intégrante de l'art arabe et islamique.
Son expression la plus évidente – et sur laquelle nous nous sommes arrêtés jusqu’ici - a été le mot écrit sur parchemin ou sur papier. La calligraphie avait toutefois de multiples usages, et n'était en aucun cas limitée aux textes islamiques. «Des bibles anciennes ont également été transcrites en écriture arabe», note Lana Shamma, directrice des programmes publics d’Art Jameel. «Dans l'ensemble, cette vénération pour le mot écrit s'est également traduite par une vénération identique pour la langue arabe, qui reste encore vivante dans la culture actuelle. »
Même si les Ottomans ont catégorisé les écritures, leur attribuant des fonctions selon leur forme, l'utilisation d'une écriture donnée a toujours été déterminée par son public, qui a décidé de sa forme artistique, et du contenu de l'écriture elle-même. Le Naskh, par exemple, était l’écriture préférée pour les manuscrits et les documents administratifs; le Rayhani était utilisé pour les lettres et les décrets de la chancellerie; et le très secret Diwani était, comme déjà mentionné, utilisé par les Ottomans pour la correspondance juridique. En Perse, le Nastaliq, apparu aux XIVᵉ et XVᵉ siècles, est devenu la calligraphie préférée des textes poétiques.
Cependant, comme pour de nombreuses formes d’expression, l’écriture arabe «se prête aussi à l’abstraction et au non-respect des “règles” pour créer des styles distincts », assure Lana Shamma. « Sa flexibilité la rend également attrayante pour qu’elle s’adapte sur plusieurs supports : l'architecture, l'enluminure des livres, ou encore la broderie sur les textiles. » En tant que telle, on peut trouver la calligraphie arabe sur tous les supports, comme la céramique, les textiles, le verre émaillé, les pièces de monnaie, de même que les pièces de ferronnerie, les tapis et gravures sur bois.
Des styles de Koufi fleuri ont été développés pour orner la céramique lors de la période fatimide; les textiles comportant des inscriptions, appelés “tiraz”, étaient agrémentés de broderies comportant les noms des califes, offerts en cadeau. Les miroirs en bronze étaient gravés de souhaits divers. Les calligraphes créaient souvent des œuvres d’une beauté exquise et parfois d’une complexité stupéfiante, mettant en valeur la polyvalence de la langue arabe et son potentiel en tant que forme ornementale.
Certaines écritures - en particulier le Koufi et le Thuluth - se prêtent également à une utilisation en architecture. Les inscriptions calligraphiques ornent une variété de bâtiments religieux, militaires et civils, ayant dans de nombreux cas une stature monumentale. Comme mentionné précédemment, l’un des premiers exemples connus d’inscriptions architecturales se trouve au Dôme du Rocher à Jérusalem. Les inscriptions se retrouvent d’ailleurs fréquemment sur les bâtiments du monde islamique. Elles ornent la mosquée du Sultan Hassan au Caire, l'un des plus beaux exemples de l'architecture mamelouke; la madrasa Bou Inania à Meknès, au Maroc; et la mosquée du shah à Ispahan, considérée comme un chef-d'œuvre de l'architecture perse.
Bahia Shehab, de l'AUC, estime que la calligraphie avait trois rôles architecturaux principaux: «Le premier était informatif, car les bâtiments indiquaient généralement le nom du mécène, la date de construction du bâtiment, ainsi que son nom. En cas d’existence de waqf (donation caritative) pour le bâtiment, l’écriture calligraphique était également gravée ou peinte à l'intérieur. »
« Le second rôle était davantage d’ordre décoratif. Les représentations zoomorphes et humaines n'étant pas admises dans les espaces religieux, la calligraphie et les motifs géométriques, que nous appelons arabesques, étaient essentiels pour décorer les espaces intérieurs », poursuit-elle.
« Je pense enfin que l’usage de la calligraphie était une manifestation du pouvoir. Lorsque vous voyez ces grandes et belles peintures gravées dans une mosquée en Turquie, sur une façade de l’Egypte mamelouke, ou un bâtiment safavide en Iran ou en Inde moghole, cette belle calligraphie est une expression de piété mais aussi de pouvoir - de respect pour Dieu. Lorsque vous vous tenez devant quelque chose d'aussi beau, vous êtes tout simplement émerveillé.
Cette belle calligraphie est une expression de piété mais aussi de pouvoir - de respect pour Dieu.
Dans la mosquée Bibi-Khanym à Samarcande et le mausolée de Qalawun au Caire, ce sont les briques et les tuiles qui forment le texte, utilisant le Koufi carré géométrique. Appelé “Banna'i” en farsi, ce style de maçonnerie décorative est peut-être originaire de Syrie et d’Irak, mais s’est sans doute exprimé de la plus belle manière en Iran et en Asie centrale. Dans le mausolée de Khoja Ahmed Yasawi au Kazakhstan, par exemple, la maçonnerie bleue énonce les noms d'Allah et du prophète Mahomet, tandis que la maçonnerie surélevée en Koufi et en Naskh se trouve sur le minaret de Saveh en Iran.
Les calligraphes étaient également au cœur de la période des découvertes, encouragés par les califes abbassides de Bagdad. Les astronomes, médecins, mathématiciens et cartographes ont peut-être élargi les connaissances arabes et musulmanes, servant de pont entre la Grèce antique et la Renaissance européenne, mais ce sont les calligraphes qui ont contribué à transcrire ces connaissances. Des calligraphes comme le bibliographe du Xᵉ siècle Ibn Al-Nadim ont été très importants. Son Kitab Al-Fihrist était, au moment de sa publication, un index de tous les livres écrits en arabe. Ainsi, les calligraphes ont joué un rôle dans «la préservation des connaissances et de l'histoire», affirme Alyousef, tout comme la calligraphie elle-même a agi comme « symbole d'unicité et signature d'identité. » Ce qu'elle continue de faire aujourd'hui.
La boîte à outils du calligraphe
«Je fais de la calligraphie depuis trente-cinq ans et je continue d’apprendre», confie M. Shawkat. «Je m’exerce tous les jours. C’est comme de la musique. Plus vous vous entraînez, plus vos lettres deviennent matures.»
Comme pour toute forme d’art, la calligraphie nécessite non seulement de la patience, de la pratique et de la passion, mais aussi un talent propre. Cela signifie des années passées avec une plume, de l’encre et du papier, afin de maîtriser une forme d’art appréciée pour sa beauté, sa clarté et son harmonie. Traditionnellement, un tel art exigeait de prendre des leçons avec un maître calligraphe qui consacrait au moins un jour par semaine à corriger les travaux de calligraphie des élèves. Cette tradition se poursuit aujourd’hui, depuis la création des écoles de calligraphie comme Madrasat Tahsin Al-Khotout, l’école Khalil Agha au Caire, Medresetul Hattatin à Istanbul et le Centre Dar Al-Qalam à Médine, qui ont été fondées au début du XXᵉ siècle.
M. Massoudy est un ancien élève de Madrasat Tahsin al-Khotout, mais il n’y a passé que peu de temps en 1980. «Les rencontres entre grands calligraphes et amateurs m’ont donné l’impression d’avoir passé plus de temps là-bas», se souvient-il. «J’ai ressenti la même chose lorsque j’ai visité Istanbul, la capitale de la calligraphie ottomane. J’ai rencontré les derniers grands calligraphes ottomans, comme Hamid Aytaç, qui m’ont offert des œuvres de calligraphie qui me sont chères. Bien que j’aie passé moins d’un mois en Turquie, j’ai eu l’impression d’avoir étudié là-bas pendant de nombreuses années. À vrai dire, j’avais des centaines de questions auxquelles je n’avais pas de réponses, et ce voyage m’a permis de trouver des réponses à la plupart d’entre elles.»
La plupart des calligraphes modernes ont été initiés à l’art de la calligraphie dès l’école primaire. C’est là-bas que l’artiste et poète libanais Samir Sayegh a utilisé l’encre «interdite» pour la première fois et a été loué pour la beauté de son écriture. C’est également à l’école à Najaf que M. Massoudy a été applaudi pour sa calligraphie, avant de déménager à Bagdad en tant qu’apprenti et de passer ses jours à s’exercer «du matin jusqu’au soir.»
«Parfois, j’avais des réunions ou des rencontres où le temps semblait s’étirer», raconte-t-il. «Une heure avec le calligraphe Hashem al-Baghdadi (considéré comme l’un des derniers calligraphes classiques) me semblait durer une année entière. Les jours où il me dessinait des mots, je sentais que j’avais grandi.»
M. Al-Salem raconte la pratique rigoureuse et la détermination nécessaires pour commencer à maîtriser cette forme d’art. «J’ai étudié la calligraphie à la Sainte Mosquée de La Mecque. J’avais un mentor et professeur de calligraphie et j’étudiais pendant les vacances d’été et trois fois par semaine… J’allais à la mosquée après la prière de l’aube et j’y passais toute la journée pour étudier et apprendre. J’avais 13 ans à l’époque.»
Comme la majorité des calligraphes, il utilise des outils essentiels qui n’ont pas beaucoup changé au fil de l’histoire — la plume de roseau (calame), une sélection de couteaux (pour couper le roseau ou le bambou), une variété d’encres (traditionnellement de l’encre de noir de carbone mélangé à de l’eau ou à une solution de gomme arabique), et le parchemin ou papier sur lequel on écrit.
Les plumes de roseau ont été choisies parce qu’elles combinent dureté et souplesse, solidité et flexibilité, et permettent à l’encre de bien s’écouler sur la surface du papier. De nombreux accessoires, tels que des plumiers et des encriers, ornent le bureau d’un calligraphe, tandis que la calligraphie réalisée sur d’autres matériaux, comme le métal ou le bois, nécessite une sélection d’outils de sculpture.
Dans les livres de calligraphie traditionnels, des dizaines de pages décrivent la plume de roseau et la manière dont elle est coupée, entaillée, séchée et conservée.
«Dans les livres de calligraphie traditionnels, des dizaines de pages décrivent la plume de roseau et la manière dont elle est coupée, entaillée, séchée et conservée», affirme M. Sayegh, dont le studio à Beyrouth comprend des encriers, des pinces, des pinces coupantes, une scie à métaux, deux maillets en bois et une vieille perceuse manuelle. «Des dizaines de pages décrivent aussi le couteau que le calligraphe doit utiliser pour fabriquer la plume. De nombreuses autres pages décrivent les encres et la façon de les produire et de les préparer.»
Dans l’encyclopédie Subh Al-A‘sha rédigée par le polymathe égyptien Al-Qalqashandi au début du XVᵉ siècle, il existe des centaines de pages sur les plumes, les couteaux, les encres et d’autres problèmes techniques qui exigent que le calligraphe s’exerce afin de maîtriser son art. La pointe de la plume de roseau, par exemple, doit être coupée dans un angle incliné et entaillée au milieu pour faciliter l’écoulement de l’encre. L’angle de la coupe inclinée dépend du style voulu, tandis que le type de roseau utilisé dépend essentiellement des préférences personnelles.
«Couper la plume dans un angle incliné rapproche les deux côtés de la plume, ce qui contribue à une rotation plus souple de la main et aide le calligraphe à faire se rejoindre deux lignes parallèles», explique M. Sayegh. «L’inclinaison permet de voir un côté de la plume comme un point où les côtés droit et gauche se rencontrent à chaque fois que la lettre arrive à sa fin ou rencontre une autre lettre. Cette technique est l’un des secrets de l’art de la calligraphie et révèle l’ordre caché de l’univers.»
Bien que les plumes utilisées par les calligraphes aient évolué au fil du temps – notamment pendant l’époque ottomane avec le développement de styles tels que le diwani, le jali diwani et le ruq’ah – elles étaient surtout des variations du calame original. «Il est intéressant de noter que cette évolution montrait que l’aspect utilitaire de la calligraphie avait pris le dessus sur son aspect esthétique», ajoute M. Sayegh. «Les plumes qui donnaient la priorité à l'écriture et à la transmission du contenu linguistique recherchaient aussi bien la créativité que des solutions alliant beauté et utilité, ce qui a donné les styles naskh, ta’liq et ruq’ah.»
Les mêmes plumes sont toujours en usage aujourd’hui. M. Shawkat utilise les modèles traditionnels tels que le khamish, le handam et le java, ainsi que des modèles modernes tels que le tomar, qui est fait d’un grand morceau de bambou ou de bois. Il utilise également les stylos Pilot Parallel qui ont été adaptés pour la langue arabe, et différentes marques de stylos-plume avec des pointes modifiées, telles que Pelikan et Osmiroid. M. Sayegh, dont l'art repose sur des lettres ou des mots individuels, a vu les plumes qu'il utilise augmenter en taille, mais sans qu’elles perdent leur essence.
Le papier utilisé aujourd’hui est généralement fait à la main dans des pays comme le Népal, l’Inde et le Japon, mais les premiers calligraphes écrivaient sur du parchemin fait de peau de mouton ou de cerf. Un tel parchemin était utilisé pour écrire des lettres, des documents officiels et des textes religieux, et a continué à être produit jusqu’au XIᵉ siècle. L’arrivée du papier de Chine au XVIIIᵉ siècle a entraîné la création des premières usines de papier à Samarcande et a mené à la production de papier à Bagdad, à Damas et au Caire.
Toutefois, le papier posait deux problèmes pour les calligraphes. Premièrement, il était absorbant, et deuxièmement, il avait tendance à être plus rugueux que le parchemin, et n’était pas assez lisse pour permettre la bonne fluidité de la plume et le bon écoulement de l’encre. Ces problèmes-là ont été résolus grâce à l’application de vernis donnant au papier une finition plus brillante une fois séché. Ce genre de papier est souvent appelé «ahar» ou «muqahar».
«Pour le calligraphe, le papier doit disparaître, devenir presque invisible, pour mieux dévoiler la calligraphie dans toute sa splendeur», dit M. Sayegh. «Le papier utilisé pour la calligraphie est comme le miroir pour le visage — plus il est propre et neutre, plus le visage apparaît clairement. Le papier doit s’effacer pour laisser la place à la calligraphie.»
«Nous cherchons à comprendre le sens de l’absence, du retrait, de la propreté, de la neutralité et de la clarté», ajoute-t-il. «Et selon notre compréhension de ces termes et la manière dont nous voulons les utiliser, les matériaux sur lesquels apparaîtra la calligraphie changeront eux aussi.»
Tourner la page
Toute discussion sur le rôle de la calligraphie dans le monde d’aujourd’hui ne peut être limitée à la calligraphie elle-même. Elle doit englober l’intégralité de son héritage: de l’art et la typographie à la conception et la personnalisation.
Comme l’a précisé Mme Shamma, la calligraphie est à l’origine de la typographie, qui a eu un impact profond sur le développement du graphisme. «Cela apparaît comme évident lorsque l’on observe la manière dont la typographie est devenue une forme d’art à part entière», affirme-t-elle. «On voit clairement que la calligraphie a transcendé la plume et le papier, depuis l’émergence de calligraffitis, avec des artistes tels qu’eL Seed, qui mêlent art urbain et calligraphie, et couvrent des façades entières d’immeubles afin de mettre l’architecture en valeur, unissant les différentes communautés autour de certains messages.»
Prenons également pour exemple le travail minutieux de l’artiste saoudienne Lulwah al-Homoud, qui incorpore des lettres arabes dans des œuvres abstraites complexes sur papier. Elle marie les subtilités du design géométrique islamique avec les rythmes de la calligraphie afin de créer un tout nouveau vocabulaire visuel bien à elle, n’hésitant pas à sortir du moule.
Née en 1967 à Riyad, Mme Al-Homoud vit et travaille entre Dubaï et Londres et cherche à incorporer la calligraphie dans son travail abstrait de manière différente des règles classiques de cet art. «Ma façon d’utiliser les lettres et les mots est atypique», dit-elle. «La manière dont je me sers de la calligraphie n’est pas faite pour être lue. Les gens doivent regarder le tableau de plus près afin de déchiffrer ce qui est écrit. Il existe une certaine ambiguïté visuelle dans mon travail. Je déconstruis les mots et les reconstruis dans mes œuvres.»
Cependant, cette nouvelle tendance à utiliser la calligraphie dans d’autres formes d’art, cumulée à l’impression et à la numérisation de l’écriture arabe, a eu un impact considérable sur la calligraphie traditionnelle. En Égypte, pays toujours considéré comme un centre de la calligraphie, des instituts tels que l’école Khalil Agha luttent pour survivre après la suppression du financement public, tandis que la popularité de la calligraphie dans l’ensemble du monde arabe a diminué. Madrasat Tahsin Al-Khotout au Caire et Medresetul Hattatin à Istanbul ont fermé leurs portes depuis longtemps. Enfin, la demande de calligraphes a elle-même diminué. «On raconte qu’au XIXᵉ siècle il existait environ 1 500 calligraphes à Istanbul», note M. Massoudy. «Lorsque l’imprimerie est apparue, ils ont protesté, brandissant un cercueil rempli de leurs plumes.»
«La pratique traditionnelle de la calligraphie a baissé depuis l’invention de l’imprimerie», ajoute M. Alyousef, qui travaille dans les domaines de la conception créative, de la typographie et de la calligraphie. «À mesure que le temps passe et que la technologie progresse, la possibilité qu’un calligraphe écrive des livres est extrêmement rare. Mais le riche héritage et les valeurs esthétiques de la calligraphie la rendent très précieuse dans les domaines de l'art abstrait, de l'architecture, du design et d'autres secteurs similaires. C’est pourquoi je pense que la meilleure façon de conserver et même de faire progresser l’enseignement de la calligraphie passerait par une étude plus approfondie du design, de la forme et de l’abstraction.»
En typographie arabe, les graphistes réalisent des travaux inédits inspirés par les formes calligraphiques pour créer des polices de caractère qui reflètent le monde dans lequel nous vivons. Pour cela, ils trouvent des «solutions à des problèmes de lisibilité et d’esthétique et créent des polices qui sont vraiment uniques, proportionnées et fonctionnelles», affirme Basma Hamdy, graphiste et éducatrice égyptienne et auteure de Khatt: le paysage calligraphique de l’Égypte (Khatt: Egypt’s Calligraphic Landscape, en anglais).
Dans le milieu de l’art, M. Sayegh a ignoré les règles calligraphiques établies par Ibn Muqla et a stylisé les variations géométriques et cursives de la calligraphie arabe afin de créer une pratique universellement acceptable fondée sur la forme et la beauté. Pour ses œuvres géométriques, il s’est concentré sur l’équilibre et le dialogue entre ligne et espace. Pour les pièces plus fluides, il a utilisé un système basé sur le mouvement et l'équilibre. Il s'est focalisé sur la libération de la calligraphie des contraintes de la langue.
M. Massoudy s’est également emparé de lettres, de phrases et de mots individuels pour créer des œuvres d’art vibrantes, qui, bien qu’elles rompent avec la tradition, continuent de faire ressortir la beauté de la calligraphie arabe. Les deux artistes sont considérés comme faisant partie du mouvement Hurufiyya, qui combine tradition et modernité, pour créer un langage visuel spécifique à la culture.
La volonté d’introduire la calligraphie dans la modernité est partagée par l’artiste saoudien Nasser al-Salem, qui a commencé à se demander comment il pouvait faire de sa calligraphie « une forme d’art contemporain. »
Nasser al-Salem est connu pour sa recontextualisation de la calligraphie sur différents supports. Il utilise des tubes néon, des blocs de béton et de l'acier inoxydable découpé au laser pour créer de nouvelles formes de calligraphie qui défient les conventions.
«J’ai débuté comme calligraphe classique», explique-t-il. «Après avoir voyagé à l’étranger, j’ai réalisé que je désirais que la calligraphie coexiste avec le monde de l’art contemporain. Je me posais la question que la plupart des calligraphes se posent aujourd’hui: comment pouvons-nous évoluer en nous servant d’une forme d’art aussi ancienne et traditionnelle?»
À leur manière, les artistes urbains tels qu’eL Seed et Yazan Halwani, qui fusionnent la calligraphie arabe et l’art du graffiti, ont contribué à donner un nouveau souffle visuellement intrigant à des styles tels que le kufi, le diwani et le thuluth. Yazan Halwani, qui a représenté des icônes culturelles ou les écrits de poètes comme Mahmoud Darwish, a notamment contribué à affirmer le caractère intemporel de l’écriture arabe comme partie intégrante de l’identité arabe et islamique.
«Tant que l’arabe est une langue parlée, le texte arabe continue d’être la langue visuelle qui l’accompagne», explique Mme Shamma, d’Art Jameel. «Le fait que la calligraphie soit utilisée de manière innovante sur différents supports démontre qu'elle exerce toujours une influence dans les pratiques actuelles.»
Mme Shamma mentionne l’artiste irakien Mehdi Moutashar, qui s’est inspiré de l’écriture arabe pour son œuvre Deux plis à 120 degrés (Two Folds at 120 Degrees, en anglais), ainsi que l’œuvre de Bahia Shehab, Mille fois non (A Thousand Times No, en anglais), formée de 1 000 versions différentes du mot «la». Cette dernière a d’abord été exposée en 2010 sur un rideau en plexiglas mesurant 3,5 mètres sur 7. L’artiste a en outre compilé ses recherches dans un livre, retraçant chaque représentation du mot «la» chronologiquement, indiquant l'endroit où elle l'avait trouvé, le support utilisé et le mécène qui avait commandé l'œuvre. «Je suis inspirée par l’histoire pour parler du présent», déclare-t-elle. «Pour moi, la calligraphie est une manifestation d'identité.»
Bahia Shehab a également fondé Type Lab à l’AUC afin de documenter les différentes formes de lettres arabes. Jusqu’à présent, le laboratoire a documenté près de 70 000 formes de lettres afin d’aider les artistes à créer des solutions pour l’avenir. «L’avenir est entre les mains des jeunes qui sont censés concevoir une nouvelle identité arabe. Une fois qu’ils pourront comprendre leur histoire, ils seront capables de concevoir leur avenir», assure-t-elle.
Toutefois, cette nouvelle vision du monde n'a pas été acceptée par tout le monde. De nombreux traditionalistes estiment que les proportions et les formes de la calligraphie doivent être respectées et non délaissées avec nonchalance. Bien que beaucoup pensent qu'il y a de la place pour la modernisation et le développement de nouveaux styles, d'autres défendent la tradition classique. Certains enfin s’interrogent sur des mouvements comme le calligraffiti. Ils n’utilisent aucune règle, ne nécessitent aucune formation formelle, la question se pose donc de savoir s’ils peuvent être considérés comme de la calligraphie.
«À ceux qui refusent d’accepter les nouveaux courants et les nouvelles méthodes de la calligraphie arabe, je dis: si la calligraphie n’avait pas évolué au cours des mille dernières années, nous utiliserions toujours seulement le kufi», lance M. Massoudy. «La calligraphie telle qu’elle existe aujourd’hui rassemble les styles qui ont été créés par des innovateurs de toutes les époques. Peut-être qu’à leur époque ces nouvelles méthodes innovantes de calligraphie ont été accueillies avec des doutes similaires. Mais ces styles font désormais partie de notre histoire, ils ont été placés dans des bocaux en verre et gardés en lieu sûr, dans des musées, où ils sont conservés comme tout objet moralement et matériellement précieux. Par conséquent, tout rejet de nouvelles productions artistiques ou littéraires aura pour seule conséquence d’appauvrir la société.»
La calligraphie telle qu’elle existe aujourd’hui rassemble les styles qui ont été créés par des innovateurs de toutes les époques.
Rien de tout cela ne signifie que la calligraphie arabe traditionnelle est en déclin. Bien au contraire. Stimulée par des expositions, des ateliers, des conférences et des prix, notamment aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite, elle est à nouveau célébrée sous toutes ses formes, surtout lors de l’Année de la calligraphie arabe, organisée par le ministère saoudien de la Culture.
«La calligraphie occupe une place importante dans le monde d’aujourd’hui. Avec des technologies en constante évolution, je vois un monde futur dans lequel la calligraphie et la beauté formelle de l’écriture seront une composante importante, voire nécessaire, de nos expériences quotidiennes. Je pense que nous nous adaptons à ce qui se présente à nous», souligne M. Hamdy. «Pourquoi ne pouvons-nous pas imaginer un monde où la beauté calligraphique deviendrait une nécessité pour la communication? Où l'émerveillement est intégré dans les actes les plus simples qui soient, comme la lecture et le déchiffrage?»